On a fait sa connaissance au détour de pas mal de fous rires dans les comédies de l'ère Apatow, on a été bluffé de le voir brillamment élargir sa palette de jeu jusqu'à avoir des nominations méritées aux Oscars pour "Le Stratège" ou "Le Loup de Wall Street" et, aujourd'hui, Jonah Hill franchit encore un cap dans son irrésistible ascension cinématographique en écrivant et réalisant son premier long-métrage.
Au premier abord, "Mid90's" paraît être un récit initiatique comme il en existe des dizaines d'autres sur cette période charnière de l'adolescence où l'innocence de l'enfance se fracasse contre la réalité de l'arrivée de l'âge adulte avec l'ensemble des rites de passages qui l'accompagnent. Les paradis artificiels, la première aventure sexuelle, la bande de potes avec laquelle on adore traîner... Tous ces éléments sont bien présents dans le parcours traversé par le petit Stevie (fabuleux Sunny Suljic) durant le film mais, dans le fond, ils ne sont que des accessoires à l'angle sur lequel va se concentrer Jonah Hill pour raconter cet épisode crucial d'une existence. En effet, le réalisateur/scénariste débutant va fixer son regard sur la nécessité absolue de ce jeune héros d'avoir des modèles pour se construire.
Pour commencer, on comprend que Stevie a grandi sans figure paternelle, les rares hommes adultes qui traversent la maison n'y demeurent jamais longtemps à entendre la mère parler de sa vie sentimentale chaotique. De ce fait, comme la scène d'ouverture le montre, Stevie a répercuté cette recherche de modèle sur son grand frère dont il considère la chambre comme un sanctuaire qu'il adore visiter en secret mais le problème est qu'il ne reçoit que des coups en retour de la part de celui-ci (l'explication bien pensée de la violence enfouie chez l'aîné vis-à-vis de son cadet, lui-même contaminé par cette rage, sera rapidement abordée au détour d'une de leurs rares conversations à coeurs ouverts). En dernier recours, Stevie va reporter cette quête sur un groupe de skateurs plus âgés que lui et pour lequel il va développer une véritable fascination. Finement tous définis et rapidement attachants, chaque membre de la bande a plus moins un trait de caractère que Stevie va ou voudrait acquérir : la place dans le groupe de mascotte de Ruben qui, paradoxalement, est le premier à y introduire Stevie mais qui voit d'un mauvais oeil son rôle grandissant, la passion virant à l'obsession pour la réalisation de Ryder en écho à celle de Stevie pour le skate, l'apparente coolitude absolue de Fuckshit et, enfin, le talent de Ray pour sa discipline qui suscite l'admiration de tous. Au fil des jours, Stevie va concrétiser cette recherche permanente de modèles masculins en devenant un membre à part entière du groupe malgré son jeune âge. Le regard naïf de cet être à la sortie de l'enfance sur ceux qu'ils considèrent comme des exemples à suivre va nous être parfaitement retransmis par un Jonah Hill faisant le choix d'une approche formelle en 4/3 filmée à l'aide d'une caméra 16mm comme pour mieux traduire des réminiscences lointaines d'instants volés d'une étape majeure dans la construction de ce que deviendra le petit Stevie. Il ressort ainsi de cette approche une pureté indicible s'incarnant avec harmonie dans les yeux que pose Stevie sur chaque nouvel interaction que lui offre cet environnement pour grandir. La plupart tienne de passages obligés de cet âge comme on l'a souligné plus haut mais leur ambivalence sur ce qu'il apporte réellement au jeune garçon élabore subtilement une noirceur en toile de fond, amenée à contaminer complètement ce cadre qu'il pensait comme un but ultime et dont il touche un peu plus à chaque fois les contours pour en réalité s'y brûler. Car, bien entendu, non, la bande de skateurs n'est pas un modèle à suivre et la fascination de Stevie pour ses nouveaux amis va inéluctablement se fissurer devant leurs failles peu à peu dévoilées à l'écran. Il faudra un événement dramatique (attendu mais brillamment mis en scène par Hill en termes d'impact) pour sceller l'admiration que le héros a toujours pour eux, le film aurait d'ailleurs pu s'arrêter là afin de marquer la fin d'époque mais non, Jonah Hill fait le choix assez magnifique d'en exalter la force de l'amitié indéfectible qui y a trouvé ses origines, une de celles qui vous marquent pour toute la vie et où l'on pose souvent un regard au cours de notre existence sous forme d'un retour aux sources nostalgique pour ne pas oublier ses racines.
En guise de première réalisation, Jonah Hill livre une oeuvre délicate, toujours juste et baignée de la lumière d'une époque qui lui (et me) parle bien sûr personnellement à travers une bande originale indissociable de cette jeunesse ou tous ces petits détails de l'apparat 90's pour lequel on aurait donné sa vie mais qui semble aujourd'hui si ridicules avec un minimum de recul. C'est d'ailleurs, en premier lieu, cette quête enfantine de modèle qui est la boussole du long-métrage. Encore plus que le reste, la vision adulte a posteriori sur celle-ci la rend forcément obsolète mais, comme le démontre si bien Jonah Hill, replacée dans son contexte, elle était tout, un besoin si fondamental pour trouver sa propre voie qu'elle a pu aussi bien conduire à tous les excès qu'à la création de liens d'une bande de potes à jamais gravée dans les mémoires.
Peut-être que Jonah Hill en fait parfois un peu trop derrière la caméra avec un ou deux plans-séquences qui n'ont pas une grande utilité mais, pour ses premiers pas à la réalisation, il maîtrise complètement son sujet et y fait incontestablement déteindre de sa personne en retrouvant/superposant l'innocence de son regard d'adolescent à celui de son héros. Pour un premier film, c'est une réussite prometteuse d'une carrière de cinéaste prêt à s'y abandonner personnellement. Vivement le prochain !