Avant toute chose, il conviendra de préciser que « La noix de Katakrut » est un conte d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann publié en 1816. Au fil du temps et des traductions, le terme de « Casse-noisettes » prendra l'ascendant, et Tchaïkovski en parachèvera la légende avec son mythique ballet de 1892. Quand bien même on n'aurait jamais mis la pointe des pieds à l'opéra, la musique nous est forcément connue. Pas une pub pour du parfum ou plus trivialement pour du jambon pseudo italien sans que quelques notes viennent résonner à nos oreilles.
Le cinéma a prit sa part de noisettes depuis longtemps. Parmi les adaptations précédentes, on recommandera « Nutcracker Fantasy » film d'animation en stop-motion hallucinant réalisé en 1979 par le japonais Takeo Nakamura, et on fera semblant de ne jamais avoir entendu parler de « Barbie : Casse-noisettes » , autre film d'animation bien américain sortit directement en vidéo en 2001.
Etrangement, Disney s'était simplement contenté d'un « Silly Symphony » consacré au ballet en 1935, revu et corrigé comme un court-métrage en 1940, et intégré comme simple séquence parmi d'autres dans « Fantasia ». Lancés dans une relecture « live » de leurs oeuvres précédentes à l'heure de l'IMAX, les possibilités leurs étaient immenses avec « Casse-noisettes ». D' autant que, contrairement à la relecture de leurs « grands classiques » tels « Le livre de la jungle » ou « Le Roi Lion », les fans ne les attendaient pas au tournant. Sur le papier, c'était une bonne idée. Sur le grand écran, c'est une déception.
Celle-ci ne vient pas de la forme : on ne peut pas nier la quantité de travail fournie par les équipes techniques. Rien que la scène d'ouverture, au-dessus d'un village de noël, est une démonstration pour justifier le prix des lunettes 3 D. Les autres effets spéciaux, « à l'ancienne » -car il y en a- sont aussi de bonne facture. Les décors sont de toute beauté et les costumes auraient mérité certainement à la géniale Jenny Beavan une autre statuette dorée.
Le casting est lui aussi, sur le papier, fort bien troussé. De jeunes acteurs prometteurs et d'autres aux carrières bien installées, et qui ont la sympathie du public. On ne peut remettre en cause leur talent. Le problème, c'est qu'ils n'ont rien à jouer. Et c'est un beau gâchis.
La jeune Mackenzie Foy est vraiment l'incarnation des « princesses » telle que Disney nous les a toujours traditionnellement présentées. Avec ses longs et beaux cheveux châtains, son visage de poupée et ses grands yeux de biche, elle aurait été parfaite pour le rôle de Belle dans « La Belle et la bête » (ne me lapidez pas, les fans d'Emma Watson, je trouve juste que celle-ci aurait mieux incarné Aurore dans « La Belle aux bois dormants »). « Casse-noisettes et les 4 royaumes » est quand même pour elle une bonne compensation, puisque la caméra ne la quitte quasiment pas de tout le film. Ajoutons que la jeune femme y démontre plutôt un bon talent d'actrice, ce qui prouve que tout n'était finalement pas à jeter dans la nanaresque saga « Twilight ». Le problème, c'est son personnage, Clara. Même si celle-ci correspond à la nouvelle devise des princesses Disney « Je suis courageuse et capable de me défendre toute seule », à aucun moment il n'est possible de s'attacher à elle. Clara, c'est l'enfant gâtée méprisante et égoïste dans toute son insupportable suffisance. Et la pseudo morale finale a eu sur moi tout l'effet contraire que celui recherché.
Non, parce que désolée mais le « De toutes ses créations de ta mère, tu es la plus parfaite et sa préférée », c'est juste d'une part l'affirmation suprême du narcissisme (puisque durant tout le film on ne cesse de nous répéter combien Clara ressemble à sa mère), et d'autre part absolument ignoble envers le frère et la soeur de Clara, qui, certes, n'ont pas la moindre importance dans l'histoire, mais n'ont rien fait pour mériter un tel dédain de la part d'une mère dont ils souffrent eux aussi de la perte.
Bref, a aucun moment je ne suis parvenue à m'attacher à Clara ou être émue par elle, contrairement à d'autres personnages.
A commencer par le fameux Casse-noisettes, renommé Capitaine Philip Hoffman (gros clin d'oeil bien lourd) et incarné par le quasi inconnu Jayden Fowora - Knight. Celui-ci a quand même pour lui une bonne tête bien sympathique pour jouer les prince... Heu, soldat charmant, d'avoir un Spielberg (« Ready Player One ») à son actif, de jouer mieux que John Boyega dans les « Star wars » et de coûter beaucoup moins cher que Chadwick Boseman dans les Marvel. Et si son personnage sert surtout de paillasson ... heu chevalier-servant à Clara tout au long de l'histoire, il s'avère finalement bien plus touchant et convaincant qu'elle.
Avec ou contre eux, une brochette de guests viennent toucher leur chèque sans trop avoir à travailler.
Seule Helen Mirren est suffisamment brillante pour qu'on se demande pourquoi elle est venue se perdre dans cette farce indigne d'elle.
Morgan Freeman fait ce qu'il fait dans les deux tiers de sa filmographie : donner de sa belle voix, au début et à la fin du film, des pseudos conseils nébuleux à la jeune héroine de service, avec un soupçon de son Lucius Fox dans la trilogie des « Batman » de Nolan. Toutes ses scènes ayant lieu dans le même décor, il est à soupçonner qu'il ait tout plié en une journée de tournage.
Keira Knightley, réchappée des caraïbes, campe un personnage sous hélium. On ne sait jamais si ce qui est le plus insupportable est sa voix, son jeu grimacier ou ses répliques dignes des blagues carambar. Tout ce qu'on espère, c'est achever nos souffrances.
Quand à Matthew Mac Fadyen, il est totalement transparent, comme la plupart des autres personnages secondaires. Mais il avait du temps à perdre entre deux séries de qualité.
On notera que Disney a tenté de jouer la carte de la diversité, avec Freeman, Fowora-Knight, et Misty Copeland qui incarne une ballerine (normal, c'est son métier). Le problème, c'est que cette louable tentative fait un peu « forcée ». Le Royaume de Prusse de 1816 selon Disney ne comporte que des personnes noires ou blanches, et toutes sont riches. (En vérité il se préparaient à une guerre contre la France et il eut été plus logique d'inclure des acteurs turcs ou polonais).
Autre échec, la carte du rainbow flag. Un duo de personnages secondaires, mais surtout un en particulier, sont de manière très, très, sous-entendue présentés comme gays. Bien entendu, un homosexuel chez Disney ne peut pas être présenté autrement que sous une manière hyper caricaturale, et le duo sera tourné en ridicule de leur première jusqu'à leur dernière apparition. Autant dire qu'on aurait préféré ne pas assister à cette navrante initiative.
Celle-ci est à la hauteur du reste du scénario, c'est-à-dire qu'il tient sur un post-it. Un vide d'un ennui abyssal où l'on navigue entre consulter l'heure sur son portable et somnoler. Et totalement infidèle à l'histoire d'origine, mais ça, on est prévenus, c'est pas comme si le studio Disney n'avait jamais massacré un seul des contes/légendes/romans/mangas dont il s'est inspiré.
Du reste, ce « Casse-noisettes » est bien digne de la saison. Aussi chatoyant qu'une papillote de Noël à l'extérieur, aussi dégoulinant de liqueur sucrée à l'intérieur et aussi indigeste au final.