Les films de zombies commencent toujours sur le même mystère : brutalement le monde se retrouve envahi de monstres affamés, à l’allure patibulaire, le regard évidé de toute conscience humaine, sans que l’on sache vraiment d’où s’origine le virus follement contagieux. Le pire, c’est que les personnages survivants n’éprouvent pas de véritable surprise et se précipitent dans un combat immédiat contre cette nouvelle barbarie. C’est à peu près ce qui arrive à Sam qui, une fois sorti de son sommeil, constate que les murs sont couverts de sang, ouvre la fenêtre, et sans apparente surprise, découvre que le monde est maintenant conquis par des zombies.
Le film de genre zombies est plutôt l’apanage du cinéma américain. John Carpenter en est peut-être le plus illustre des réalisateurs, offrant à ses spectateurs des univers horrifiques qui mêlent humour, aventure et épouvante. Le style du film de Dominique Rocher est sensiblement différent. D’abord parce qu’il se déroule dans un arrondissement de Paris, et particulièrement dans un magnifique immeuble haussmannien qui fait le cachet de la capitale française. Le héros déambule d’un appartement à l’autre, à la recherche autant de protection que de nourriture, à la façon d’un agent immobilier qui s’immisce dans la vie de ses locataires.
Cette incursion dans ce qui a fait le monde intérieur des habitants, avant qu’ils ne succombent à la malédiction, est particulièrement intéressante. Par exemple, Sam se perd dans la chambre d’un ado où l’on parvient à rentrer dans le quotidien de ce jeune-homme. Tout le film fait l’éloge des accessoiristes et des décorateurs qui sont parvenus à transformer ce magnifique immeuble bourgeois en un espace à la fois conçu à la mémoire de la vie d’avant de ses habitants, et un territoire digne d’une fin du monde. On découvre avec un plaisir réel combien le hors-champ constitue un art à lui tout seul. Le réalisateur raconte en effet l’existence d’un médecin, d’une famille, sans que jamais les personnages ne prennent vie, ayant été remplacés par les objets qui constituaient leur quotidien. Dans tous les cas, La nuit a dévoré le monde est tout à fait bluffant du point de vue des décors, dans la façon dont les techniciens sont parvenus à transformer ce bout de quartier parisien en un chaos crédible.
Autre intérêt du film, la bande-son. En effet, l’acteur principal du film, Anders Danielsen Lie, qu’on connaît particulièrement depuis le premier film incroyable de Joachim Trier Oslo, 31 août, incarne un jeune-homme malgré ses presque 39 ans, doué de rythmique. Régulièrement, le film invite à des incursions musicales absolument délicieuses. Le spectateur se retrouve alors entraîné dans une sorte de clip qui, certes vient un peu comme un cheveu sur la soupe, mais provoque un véritable tourbillon de plaisir. Au-delà de ces incises musicales, comme beaucoup d’œuvres du genre fantastique, les sons saccadés accompagnent la mise en scène pour renforcer les angoisses de situation.
On regrettera parfois quelques errances du scénario, voire quelques invraisemblances dans un genre qui a déjà fait le tour du sujet de la question zombie. Pour autant, La nuit a dévoré le monde développe une véritable esthétique de la solitude. Car plus qu’un récit sur l’échappatoire aux affreux zombies, le film est une variation délicate sur la folie qui hante un personnage, confronté certes au chaos du monde, mais surtout face à son propre chaos, devant l’annoncée terrifiante d’une perte totale d’amour et d’humanité.