Les frères Jérémie et Yannick Renier, qui savent surement très bien ce qu’est être une fratrie dans ce monde étrange du cinéma, livrent ici un thriller plutôt bien troussé. En moins de 90 minutes, ils parviennent à installer une ambiance anxiogène qui va crescendo, ils arrivent à créer deux personnages de femme complexes, à multiple facettes et à happer le spectateur dans une sorte de spirale
qui ne peut (on le sent d’emblée) que mal finir.
Techniquement c’est un film maîtrisé, avec quelques très jolis plans, quelques effets de mise en scène plutôt originaux et efficaces et une musique vachement sympa, un peu hypnotique et bien utilisée. Parfois, elle appuie un peu trop les effets mais c’est un petit défaut difficilement évitable dans le monde du thriller. Si on peut peut-être chipoter sur quelque chose, c’est plutôt sur le scénario car du côté de la réalisation, c’est quand même assez bien réussi. Les seconds rôles étant assez effacés, on se concentrera sur Leïla Bekhti et Zita Hanrot. Le film tourne autour de cette dualité, de ces deux femmes qui sont tellement différentes que l’une à complètement écrasé l’autre dans la fratrie et qui, faute de se dire franchement les choses, on laissé un abcès se créer entre elles. Zita Hanrot avait pour mission d’incarner une femme un peu instable, sorte de comédienne un peu capricieuse pour qui le succès est sans doute arrivé trop vite et trop fort et qui ne sait plus trop où elle en est. On pourrait penser que c’est un rôle un peu stéréotypé (et c’est surement le cas) mais Zita Hanrot tient la dragée haute à Leïla Bekhti et donne corps à une Samia complexe, à la fois détestable et fragile, tête à claque et en souffrance. Ca n’est jamais dit mais la mort du père, visiblement assez jeune, semble avoir cassé quelque chose chez cette jeune femme. Leïla Bekhti, quant à elle, est parfaite de justesse dans le rôle d’une jeune femme effacée, cachée derrière se sœur, cachée derrière ses grosses lunettes, elle encaisse sans broncher les réflexions de sa sœur, ses petites phrases assassines lâchée l’air de rien. Elle ne dit rien mais le jeu de Bekhti montre tout, toute la souffrance au creux de son ventre, et même la colère recuite qui bouillonne à l’intérieur. Elle aussi est fracturée, d’une autre façon, moins spectaculaire, jusqu’à la rupture, forcément terrible. Le scénario de « Carnivores » n’est pas sans rappeler celui de « les Jolies Choses », qui se déroulaient dans le milieu de la musique et non du cinéma. Il faut dire que la rivalité à l’intérieur d’une fratrie est un sujet mainte fois traité. La famille, parfois, c’est l’endroit où l’on communique le plus mal, où l’on tait ses colères parce que bon… on est censé s’aimer inconditionnellement non ? Ici, la dualité entre Samia et Mona semble remonter à loin, et le rôle de la mère semble également assez ambigu dans cette histoire, comme si elle était désemparée par ses deux filles qui veulent faire le même métier (et quel métier !) et qui, quoi qu’on en dise, se retrouvent rivales. C’est presque comme si, comme nous dans la salle, elle pressentait que tout cela ne peut que mal finir. La fin me convient, un peu brutale (mais pour une fois je trouve que ça tombe bien), un peu cynique, assez dérangeante aussi, même si on finit par la voir arriver d’assez loin. Les frères Renier, au-delà de l’histoire de ces deux sœurs « Carnivores » (excellent titre, au passage), dressent un tableau assez peu reluisant du monde du cinéma d’auteur qu’ils connaissent bien, surtout pour Jérémie. Le metteur en scène qui martyrise Samia sur le tournage d’un film improbable (le genre en noir et blanc, avec des dialogues surrécrits et des scènes volontairement complaisantes) est dépeint comme un arriviste, absolument convaincu de son propre génie, sans scrupule et sans affect. Je me demande de qui se sont inspiré les scénaristes pour ce rôle à la limite de la caricature ? Quoi qu’il en soit, même si « Carnivores » est un film intéressant à plein de point de vue, on peut malgré tout déplorer un manque d’originalité scénaristiquement parlant. Il y a des scènes inutiles car déjà vues et revues dans des films du même genre (quand Mona observe sa sœur faisant l’amour avec son mec), les personnages sont parfois un tout petit peu excessifs, voire limite de la caricature et la fin, qui tombe pourtant assez bien au vu de l’ensemble du film, n’est pas non plus d’une originalité échevelée. Si l’on passe pudiquement sur ces petits défauts, « Carnivores » est une variation réussie sur le thème universel de la rivalité entre sœurs qui a le mérite de rappeler que la famille, souvent c’est un engrais merveilleux pour grandir et s’épanouir mais parfois, c’est une terre stérile qui peut engendrer le pire.