Il ne faut pas s’arrêter à la connotation légumineuse du titre. Courgette, c’est comme ça qu’une mère appelle son fils entre deux cannettes de bière lancées au sol qu’il s’empresse de ramasser afin de faire des petites constructions. Le père est parti et n’a laissé derrière lui que l’image de ce héros fantasmé qu’on voit sur le cerf-volant de son fils. Ce cerf-volant, Icare le traîne partout d’ailleurs ; il le fait voler à deux ou trois reprises, quand l’espoir lui ouvre enfin ses portes ou qu’il réussit à s’extirper de cette enfance de malheur. Une fois sa mère « partie, au ciel », on le place dans un centre d’accueil pour enfants dont les parents ne peuvent pas s’occuper. Raymond, le policier, l’y amène et lui rend de fréquentes visites pour s’assurer que tout va bien. Les premiers temps ne sont jamais faciles : ainsi Courgette cache, derrière un mutisme persistant, son malaise et sa tristesse, se heurtant à quelques moqueries pendant ce bref temps d’intégration, après quoi il découvre les différentes manières qu’ont les autres de se protéger du désespoir. Drôle de séquence que celle où Simon, le faux caïd, la fausse grande gueule, explique au nouveau le problème de chacun. Sans s’y attarder, on découvre ces situations en étau, où l’enfant semble indésirable et plus que tout témoin de la cruauté du monde. Plutôt que d’enfoncer ses personnages, Céline Sciamma – la scénariste – les élève au rang de combattants, unis et solidaires dans la malchance, jusqu’à même atteindre les cimes du bonheur. Un message porteur d’espoir qui ne côtoie à aucun moment la niaiserie ou la facilité, bien au contraire : cette bande de gosses apprend les uns des autres dans des dialogues tendres et savoureux qui font écho à des questions d’enfant ou font rire les consciences adultes.
Sans s’en apercevoir, de manière très naturelle, Claude Barras renverse complètement le schéma habituel qui place la famille comme le refuge au monde extérieur et à ses problèmes. Mine de rien, il pose des questions auxquelles la société n’a jamais vraiment répondues : la maltraitance des enfants, leur devenir et leur construction, des sujets sensibles développés ici très sobrement. Ces gamins sont « socialement » exclus mais au lieu d’utiliser cette différence comme prétexte à l’isolement, ils se retrouvent et prennent leur revanche sur ce monde qui, jusqu’à présent, ne leur avait fait aucun cadeau. Bien loin de se replier sur eux-mêmes, ils s’ouvrent pleinement, transformant leur chagrin en force et non plus en faiblesse. Quand on a la boule au ventre dès la scène d’introduction, ce n’est pas à cause du pathos ou des violons du mélodrame – il n’y a rien de tout ça. C’est parce que l’émotion vient de ce mélange de mélancolie à l’égard de son passé et d’assurance vis à vis du futur. Là où on ne sait pas quoi choisir entre les regrets et les attentes, le film nous démontre qu’on ne peut pas avancer seul sur la lande de la résistance. Cette Vie de Courgette doit également beaucoup à ses marionnettes, et à leurs grands yeux où se reflètent tour à tour le malheur, la nervosité, le courage et la joie. On considère une fois de plus la modernité de la stop motion ainsi que le résultat fascinant qu’elle donne : méticuleux dans la réalisation, généreux dans l’âme, pur dans ses expressions, ce film a de beaux jours devant lui, tout comme ses personnages…