"L'argent n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est d'en avoir." Tout est dit du grand malheur de Marguerite Dumont, une millionnaire du début du 20ème siècle, qui rêve d'incarner la carrière d'une cantatrice virtuose. Et elle chante, certes mais mal, dans un monde cossu, étriqué, manipulateur, où pour des questions bassement matérielles, chacun s'abaisse à lui mentir, jusqu'à son mari dont elle a acheté le titre de noblesse. Le film, construit en 5 chapitres, ressemble à une pièce de théâtre. Dès le début, la caméra serpente à travers les salons précieux de la millionnaire, où s'entassent mille et un bibelots, dénotant d'ailleurs le talent incontestable de l'accessoiriste et des décorateurs, pour finalement s'arrêter sur cette femme vieillissante, terriblement gentille et généreuse. Elle apparaît ainsi comme un écrin au milieu de cet univers artificiel et hypocrite. Bien plus que la seule histoire d'une femme qui s'invente un don qu'elle n'a pas, le film retrace toute une époque, notamment celle des dadas d'après-guerre qui cherchaient dans la modernité absolue à non seulement renouveler les formes artistiques mais surtout contester l'état conservateur de l'entre-deux guerre. La belle époque est rarement montrée avec cette violence, se résumant souvent aux clichés des poètes et des peintres cubistes ; ici, les rapports sont humains sont froids, intéressés, sous prétexte d'art ou de donations pour les enfants orphelins de la guerre. Complètement mythomane, Marguerite choisit la naïveté, le déni de la réalité pour survivre à la virulence des rapports humains. C'est un rôle taillé pour Catherine Frot. Elle l'incarne avec une sincérité et un engagement déroutants. Elle ne verse jamais dans le ridicule, au contraire, son jeu subtil du regard, ses tremblements de mains, les dialogues apportent au personnage un relief et une épaisseur touchants, la rendant presque compréhensible. Elle est pourtant bien folle cette Marguerite. Mais Frot n'en rajoute pas de la démence. La vraie démence se situe dans les personnages qui l'entourent, comme ce mari qui lui ment bien au-delà des propres mensonges que Marguerite impose à elle-même, ou ce professeur de chant, raté et désinvolte. Le film est truffé d'aphorismes à la Oscar Wilde qui apportent autant de légèreté que de profondeur au propos. On rit aisément, même si le récit de cette folie est grave. On regrettera peut-être les doublages musicaux, souvent ratés, ne parvenant pas à faire oublier que les chants ne sont pas portés par les acteurs. Mais le détail a somme toute peu d'importance. Frot enchante d'un bout à l'autre ce film, dans un rôle évidemment taillé à la mesure d'un César.