Quand Marguerite se brûle les ailes ...
Il y a bien longtemps qu'au cinéma, un personnage n'avait été aussi bien travaillé. Jamais une personnalité aussi complexe et fragile que cette "Marguerite" ne s'était aussi bien révélée à l'écran. La psychologie de Marguerite Dumont se dessine petit à petit, en filigrane. Nous ressentons les non dits, les pensées intérieures et la souffrance tacite de cette cantatrice déchue, seule à croire en son talent (alors qu'elle chante absolument faux). La réussite de ce film ne réside pas seulement dans l'interprétation de Catherine Frot, terriblement magistrale, dont on sent l'investissement et l'immersion totale dans un rôle qui lui va à merveille. Mais quelle réalisation ! En nous attendant à une mise en scène classique et reflétant le début de siècle, les années folles d'après guerre, c'est avec beaucoup de joie et d'étonnement que nous avons découvert la modernité de certaines scènes. Entre lyrisme, loufoquerie et onirisme quasi baroque, la photographie magnifique et les effets de mouvement dans certains plans ajoutent à la cinégénie très proche de la perfection. Le travail de lumière sublime les décors fidèles à l'époque et assez époustouflants. En particulier, la pièce dans laquelle Marguerite Dumont répète tient d'un rêve en clair obscure et d'ailleurs nous restons toujours un peu en retrait de cette pièce encombrée, riche de partitions originales, de trésors et de costumes d'opéras dégotés ici et là. Sans doute y aurait il eu beaucoup d'impudeur à rapprocher les plans pour s'immiscer encore davantage dans l'intimité du personnage.... Ce n'est qu'un décor un peu fou mais qui émeut beaucoup ! Pendant 2h08, nous nous laissons entraîner dans cette folie rythmée que nous ne percevons pas immédiatement, tant nous nous laissons prendre au jeu de Marguerite, à qui tout son entourage ment, avec lequel elle compose naïvement (mais peut être pas tant que ça finalement à bien y réfléchir), sans imaginer le cynisme ambiant qui contribuera largement à sa perte et l'y conduira irrévocablement !
Catherine Frot magistrale
Enfin Catherine Frot se fait connaître et reconnaître comme une actrice majeure ! Entendons par là que oui, Catherine Frot est une excellente comédienne mais jusqu'ici nous retenions d'elle ses prestations en séductrice féline drôlissime (7 ans de mariage)ou en Folcoche ratée. Aujourd'hui, avec ce film, elle passe un cap et Xavier Giannoli lui offre la consécration ! Il lui fallait ce film, cette œuvre pour enfin nous montrer ce qu'elle avait en elle, eu plus profond de son talent de comédienne. Par la même occasion, Xavier Giannoli s'offre aussi une belle image de réalisateur averti, après des films, certes réussis mais plus discrets ("Quand j'étais chanteur", "La guerre est déclarée" etc.) Toutes les photos en costume qui jalonnent le film nous rapprochent un peu plus de la personnalité de Marguerite, nous aide à comprendre son personnage qui ne cherche qu'à voler de ses propres ailes, à être libre... Elle signe une Marguerite bouleversante, attachante, parfois si drôle et légère dans sa répartie, dans sa façon d'exister, de vivre sa passion. Les autres rôles servent aussi le film très justement. Un coup de cœur pour Sylvain Dieuaide qui campe un jeune journaliste en apparence opportuniste et qui lui aussi, va se perdre dans l'inanité de l'amour et se morfondre dans le nébuleux paradis de l'opium. Michel Fau, également, dans son rôle débridé de professeur de chant est assez spectaculaire, clownesque. Sans réfléchir aux autres films de l'année, il s'agit sûrement là de la meilleure sortie française de 2015. La réalisation, le montage, le casting, l'interprétation, la photographie... Bref ! Autant dire que c'est une partition ... sans fausse note !