Le film de Pariser n’est pas dénué d’intérêt, essentiellement dans sa première partie, sa partie la plus politique, la mieux écrite et la plus maîtrisée. Ensuite, le film se délite lentement pour aboutir à une fin tortueuse et embrouillée. Après une scène d’ouverture silencieuse et à laquelle on ne comprend pas grand-chose, le décor est rapidement planté et franchement, toute cette première partie du scénario est réussie. Si Melvin Poupaud compose plutôt bien un Pierre Blum qui semble trainer sa vie derrière lui comme un boulet, revenu de tout et foncièrement seul et désabusé (à un point qui frôle la caricature quand même !), c’est André Dussollier qui impose son personnage mystérieux comme le centre du film. Dussollier est un acteur de grand talent qui ne s’encombre pas de mauvais films et surtout de mauvais rôles. Et même quand le rôle est un peu faible, son charisme emporte le morceau. Franchement, dans la première partie du « Grand jeu » il est à son affaire. Les dialogues sont particulièrement bien écrits, certaines répliques sont même particulièrement savoureuses comme « Tu es comme de ces révolutionnaires qui veulent changer le système en préparant les concours de la Fonction Publique ? », ou bien encore « Tous ces gens qui vivent en collectivité et en autarcie dans cette ferme, ça va finir en suicide collectif au solstice d’hiver ! ». La trame du film a beau être complexe, elle n’est pas tortueuse et c’est surtout grâce au personnage de Dussollier qui a le chic pour expliquer clairement (et avec un humour à froid tout à fait efficace) les plans machiavéliques. Je ne sais pas si les manœuvres décrites dans le film sont avérées ni même si elles sont crédibles, je n’ai pas envie en tant que spectatrice de cinéma ni en tant que citoyenne de choisir d’emblée entre naïveté et cynisme, je me méfie des certitudes et des présupposés. Mais en tous cas, on comprend tout de ce coup de billard à trois bandes et on comprend surtout très vite que cela va mal tourner. Et une fois que le vent a tourné pour Joseph et pour Pierre par ricochet, le film devient subitement moins intéressant, beaucoup moins clair et subtil. Que ce soit toutes les scènes dans la ferme, et pire encore les scènes en Angleterre, on a l’impression que le film s’est perdu en route et ne va plus nulle part. Les personnages deviennent moins profonds et moins intéressants et les scènes de dialogues interminables se succèdent. Au final, il faut bien le reconnaitre, Pariser nous livre un film bavard et dont on a l’impression qu’il finit par « s’écouter parler ». Les gens qui composent la communauté sont montrés comme des anarchistes plus attentistes et passifs que révolutionnaires, qui plantent des choux et se contentent de refuser le système et « la presse bourgeoise » (« On ne sait même pas qui est Président ! », la bonne blague…), un poil paranos, moralisateurs et assez pathétiques mais franchement inoffensifs malgré les airs sérieux qu’ils se donnent. Là encore, je ne sais pas si c’est avéré ou crédible, pour ma part j’ai juste trouvé ces gens assez navrants, mais ça n’engage que moi… La toute fin du « Grand jeu » se veut cynique (avec une discrète allusion à la vieille affaire « Boulin ») et mystérieuse mais en réalité, elle est fumeuse et incompréhensible. Avec pour paroxysme une course poursuite et une scène de gare à laquelle, même en y réfléchissant, on ne comprend pas grand-chose ! Un film qui nous laisse sur une mauvaise fin est un film qui laisse sur une mauvaise impression, dommage, au vu de la première partie il méritait mieux. Reste que Nicolas Pariser maitrise son sujet point de vue réalisation, à défaut d’avoir été constant dans son scénario. C’est bien filmé, la musique est bien utilisée, il y a quelques plans assez beaux et percutants : il aime jouer avec le hors-champs et il le fait bien. Il a soigné son casting, il a tenté de mettre en image une histoire récente et bien tordue comme la politique française en regorge, je lui fais crédit de cela sans discuter.