L'univers politique semble être le terrain de jeu favori de Nicolas Parisier qui remporte le Prix Louis Delluc en 2015 pour son premier film après trois courts-métrages aux titres évocateurs : "Le jour où Ségolène a gagné (2008), "La république" (2009) et "Agit Pop" (2013). L'univers politique en question est utilisé notamment dans "Le grand jeu" pour toute la dramaturgie qu'il évoque et propose plutôt que pour le message qu'il délivre. Sans aucun doute cinéphile, Nicolas Parisier a vu fortement son esprit imprégné par les grands films paranoïaques que sont "Les trois jours du Condor" (1975) de Sidney Pollack, "Un papillon sur l'épaule" (1978), "Trois hommes à abattre" (1980) de Jacques Deray ou encore "Espion lève-toi" (1981) d'Yves Boisset. S'il cherche à renouveler l'intrigue et la psychologie des personnages, il souhaite indubitablement recréer l'atmosphère si troublante et inquiétante des films de cette époque où les affaires criminelles (Boulin, Fontanet,...) ajoutées au terrorisme d'extrême gauche qui enflammait les démocraties européennes (Action Directe en France , la Bande à Baader en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, l'IRA en Angleterre) plaçaient en position très réceptive, scénaristes, réalisateurs et spectateurs. Il y parvient avec brio, ayant peut-être pensé que le contexte actuel avait certaines analogies avec celui de l'époque précitée. Les affaires sont toujours là, même plus feutrées, liées aux rapports troubles de la classe politique avec la haute finance et les grands groupes mais aussi le terrorisme qui désormais est sorti des groupuscules pour surgir d'Internet et des barres HLM de banlieue. Pour des raisons référentielles bien compréhensibles liées à la tonalité recherchée, Nicolas Parisier a choisi comme substrat terroriste à son intrigue , le groupe gauchiste de Tarnac impliqué dans le sabotage de voies ferrées en 2007, qu'il évoque clairement dans la dernière partie du film. Pour respecter le canon principal du genre, le héros est victime d'une machination qui le dépasse. Pierre (Melvil Poupaud), ex-écrivain en devenir un peu à la dérive va croiser par un plus qu'heureux hasard la route de Joseph (André Dussolier), onctueux et mystérieux personnage, sorte de facilitateur agissant en coulisses pour ourdir ou déjouer selon les cas les complots politiques qui se fondent désormais essentiellement sur la manipulation de l'opinion.
Les talents d'écrivain de Pierre seront justement précieux quand il s'agira de produire et de publier un brûlot révolutionnaire appelant à l'insurrection, allusion évidente de Parisier à "L'insurrection qui vient", livre signé du "Comité invisible" et publié en 2007. Les anciennes connexions de Pierre avec les milieux gauchistes de sa jeunesse vont le mener bien plus loin qu'il ne l'avait envisagé
. A partir de cette trame initiale, l'auteur-réalisateur très vigilant (trop peut-être) à rester fidèle à ses références parvient sans problème et avec une certaine virtuosité au résultat escompté. La partie finale qui se joue dans une campagne française indéfinie rappelle étrangement "Le secret" (1974) de Robert Enrico, film très surprenant et sous-estimé à la conclusion énigmatique dont Parisier s'est ici fait l'écho à sa manière. Ce premier essai pas complètement maitrisé du point de vue narratif, notamment à cause d'une promesse initiale pas assez entretenue, est objectivement un film d'atmosphère qui nous fait humer avec plaisir un parfum depuis trop longtemps évaporé. Une tentative à saluer qui mérite à coup sûr une attention particulière pour un deuxième film qui devra davantage être affranchi des contraintes stylistiques et référentielles pour que Nicolas Parisier affirme son tempérament.