Pour être clair, ce film ne sera pas le meilleur de la saga, mais il n’est pas un opus à oublier pour autant. Paul Greengrass et Matt Damon l'ont toujours dit, ils ne feraient un autre Jason Bourne que s'ils estimaient tenir une histoire solide qui en vaille la peine. Promesse difficile à tenir car la saga avait été formidablement conclue par la Vengeance dans la peau, épilogue d'une histoire menée tambour battant qui renouvela le genre du film d'action au début des années 2000. Difficile car il était tellement simple de tomber dans le piège de "la suite de trop" dont les exemples sont légions (Terminator Genesis, Matrix 2 & 3, Die Hard 5, j'en passe et des biens meilleurs). Et bien force est de constater que ce Jason Bourne 5ème du nom (le "4" avec Jeremy Renner étant passablement oubliable...) passe non loin de cet écueil mais réussit le tour de force à la fois de ne pas l'être et de nous permettre d'oublier définitivement la sortie de route Renner cité plus haut. Le principal défaut de ce film et à la fois un peu son atout, c’est son scénario. Son atout car il reprend tout ce qui a fait le sel des précédents films, son principal défaut car il n’invente rien de nouveau. On retrouve Bourne, plus brisé que jamais une dizaine d’années après les derniers événements. Le personnage va de mal en pis, la dégradation de son état mental au fur et à mesure des films ne faisant qu’empirer, Matt Damon n’esquisse pas un sourire de tout le film.
Et comme le laissaient entendre les articles récents, il est vraiment homme de peu de mots (une trentaine de répliques maximum).
L’ambiance du film est lourde, car empreinte d’un certain réalisme avec le monde post Snowden, les émeutes en Grèce, la surveillance à tous les étages etc. Mais c’est presque un peu artificiel car le scénario exploite peu le filon en profondeur, préférant se concentrer sur le nouveau programme Iron Hand,
qui se sert du réseau social Deep Dream (le Facebook de l’univers Bourne) pour surveiller qui bon lui semble
. Préférant aussi se concentrer sur le nouvel élément censé justifier que la CIA s’attaque à nouveau à l’ex agent amnésique : on savait, grâce aux trois premiers opus, qui était Jason Bourne, mais on ne savait pas comment il en était arrivé là. C’est là le propos du film, nous dévoiler ce qui avait été jusque-là omis, pourquoi David Webb s’est-il porté volontaire avec le projet Treadstone ? Hé bien les choses se gâtent un petit peu car le fait de parler du père de Bourne est sans doute une bonne idée, mais elle est un peu trop effleurée à mon goût. On ne rentre pas véritablement dans le vif du sujet. Tout juste est-ce l’occasion de faire quelques flash-back (parfois bien trop répétitifs d’ailleurs) pour amener la carotte au spectateur. Autre petit problème à ce niveau là, le personnage de Vincent Cassel qui est érigé en antagoniste ultra important alors que personne n’en a jamais entendu parlé. Je pense qu’en rester au fait que l’atout déteste Bourne à cause de ses révélations était un levier scénaristique suffisant.
En faire le meurtrier de son papa pour le compte de Tommy Lee Jones/Dewey tient plus de la série B que d’un Jason Bourne. Mais bon.
Autre élément qui m’a interpellé, Tommy Lee Jones, nouveau directeur de la CIA depuis les événements du 3 semble connaître Bourne comme s’ils s’étaient déjà croisés
(lui demandant même s’il se souvient de lui)
. Or, il n’est jamais fait mention de Robert Dewey dans les précédents films. Un point un peu obscure donc. Autre petite chose qui m’a chagrinée, si Bourne arrive à entrer aux Etats-Unis, je ne m’explique pas comment il fait pour passer totalement incognito… C’est vrai quoi, sa tête est placardée à la fin du 3 dans tous les médias, expliquant que ça a été un assassin à la solde du gouvernement etc. Peut-être que je rationalise beaucoup trop cette partie du récit, mais tout de même, je pense qu’il devrait être un peu plus reconnu que ça. En fait, cet épisode se permet des facilités scénaristiques qui n’avaient pas lieu dans les précédents films…
quand Bourne fait son shopping à la conférence sur la sécurité/surveillance, les objets qu’il y glane, dignes de gadgets de James Bond qui lui servent drôlement par la suite, Bourne se prend une balle mais n'est pas aussi affecté qu'il pouvait l'être dans les précédents films, après le combat à mort avec l’atout, Bourne mal en point disparaît mais on ne sait pas comment il s’en sort (la fin du 2 et le début du 3 répondaient magistralement à cette question par exemple).
Bref, tout cela est contrebalancé par la scène d’intro à Athènes qui est juste impressionnante et puissante, dans la lignée des premiers films. La réalisation de Greengrass s’est un peu assagie mais reste nerveuse, je trouve pour ma part que c’est le bon équilibre. Matt Damon est affûté, pour qqun de 45 ans, il tient la corde et assoit son personnage encore un peu plus. Alicia Vikander est convaincante en jeune cyber-analyste aux dents décidément bien longues et prête à pas mal de pirouettes pour arriver à ses fins. Cassel enfin a la gueule de l’emploi comme on dit. Froid, nerveux, chirurgicale, il colle bien au profil. Tommy Lee Jones représente quant à lui la vision dépassée de la CIA, tentant la fusion avec la modernité incarnée par Riz Ahmed. Plaisir aussi de revoir Julia Stiles, seule rescapée de la trilogie initiale. En conclusion, Jason Bourne est un bon film d’action, c’est bien dirigé, c’est bien filmé, c’est bien rythmé, on ne s’ennuie pas. Mais c’est seulement un film d’action maintenant. L’intérêt des trois premiers était la quête identitaire, le drame teinté d’émotion de cet homme simple pour qui l’on avait de l’empathie, essayant de recoller les morceaux de son passé. Les morceaux ont été recollés mais on voudrait nous en proposer des nouveaux, dont je ne suis pas sûr qu’ils aient une place légitime. Etant un fan inconditionnel de cette saga, je ne peux me résoudre à trouver ce film médiocre car je ne pense pas qu’il le soit. Il manque simplement d’un petit supplément d’âme, d’une histoire à raconter sur Bourne qui en vaille en effet la peine. “Plaisir coupable”.