Saviez-vous que le cinéma n’a jamais été un rêve d’enfant pour Diane Kruger ? Cela va en interpeller plus d’un, et pourtant c’est la stricte vérité. En effet, du village allemand où elle a grandi, cet horizon lui paressait trop inaccessible. Mais sa vraie passion à elle était la danse. Le destin en décida autrement, le jour où une blessure au genou brisa définitivement ses ambitions. Le hasard fait que son chemin croise la route de Luc Besson puis de Guillaume Canet qui lui offre son premier grand rôle dans "Mon idole". La suite, vous la connaissez comme moi : une formidable carrière internationale. Mais jamais de prix obtenu. Du moins jusqu’à "In the fade". Par ce film, c’est le temps de la consécration pour la plus française des actrices allemandes. Et il aura fallu pour cela qu’elle retourne dans son pays d’origine pour tourner son premier film en allemand et enfin remporter le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2017. Un prix qu’on imagine fort bien pour elle comme… inattendu. Et qui lui offre une sacrée revanche sur sa vie d’artiste. Eh bien franchement, ce prix n’est pas volé, tant sa prestation est saisissante. Remarquez, "In the fade" aurait souffert si elle n’avait pas été aussi sidérante, parce que tout le film repose sur elle. Imaginez que vous perdiez d’un seul coup deux de vos proches, dont un fils (ou une fille). Essayez d’imaginer qu’ils ont été tués alors qu’ils n’auraient pas dû mourir, à cause d’une bombe artisanale placée dans une rue commerçante. Imaginez la douleur d’une mère devenue subitement orpheline de son enfant et veuve. Vous n’y arrivez pas ? Je comprends : il n’y a guère que les personnes qui ont vécu ce genre de drame qui peuvent y arriver. Car même en redoublant d’efforts pour l’imaginer jusque dans ses moindres détails, je pense que nous resterons malgré tout loin du compte. Ne vous en faites pas, c’est ce que nous propose Fatih Akin. Et il nous le propose comme une espèce de dissertation, une dissertation développée en trois chapitres encadrés par une introduction et une conclusion. L’introduction est sous le signe des temps heureux : on voit un homme se marier au sein même d’une prison. Cependant on est cueilli à froid par une image dégueulasse. Rassurez-vous : ce sont en fait des images de type amateur. Puis intervient une première ellipse. Nous retrouvons le couple dans une vie normale, dont le fruit s’est matérialisé par un enfant. C’est le début du premier chapitre, intitulé "La famille". Ce chapitre sera suivi de deux autres, titrés respectivement "La justice" et "La mer". Au cours de ces chapitres, le récit se focalise sur la descente aux enfers de Katja. C’est à partir de ce moment que Diane Kruger peut laisser exprimer son immense talent en dramaturgie, dont nous en avions déjà eu un échantillon (et quel échantillon !) à travers le premier film de Fred Cavayé, j’ai nommé "Pour elle". Grâce à son époustouflante interprétation, on ressent toute l’horreur de la scène qui la fouette comme une immense lame de fond
(olala ! ses cris, qu'ils sont déchirants !)
, cette panique qui la submerge, cette incompréhension qui lui fait perdre tous ses repères, cette douleur qui la noie dans un engrenage de colère. Pour résumer, habitée par ce rôle, Diane Kruger semble vivre ce que vit son personnage avec une rare intensité. Et le spectateur se voit réduit à la soutenir comme il peut, à l’image de l’entourage venu l’épauler mais complètement démuni face à ce genre de choses. Alors bien sûr, ce que je dis pourrait vous faire entrevoir ce film comme une longue litanie. Et il est vrai que ça peut ne pas trop donner envie d’aller le voir. Mais il n’y a pas que ça : le spectateur va être scandalisé par certains faits. A commencer par les beaux-parents, en particulier la belle-mère, cette femme sans cœur qui ne pense qu’à son chagrin et qu’on rêve de voir se faire insulter, voire même gifler. Et puis le tribunal, où se joue le procès d’un attentat au cours duquel les avocats se livrent une bataille sans merci. Bien sûr, la cause du spectateur penche inévitablement du côté de la victime, mais il sera quand même offusqué par les pratiques de l’avocat de la défense (entre autres). Tout cela pour en arriver à une chute brutale, que le spectateur sent venir mais qu’il refuse d’envisager. Et c’est là-dessus que le film se conclue, sur une note de synthèse élaborée en plusieurs tableaux. Le générique de fin arrive, et c’est encore groggy par les multiples chocs qu’il sort de la salle. Dans tous les cas, il ne faut pas se fier à ce que disent certains journalistes, parce qu’ils n’ont rien compris. Dire que ça déborde de pathos… oui c’est vrai. Mais dans ce cas c’est utile, au risque sinon de déshumaniser le propos. Mais OSER dire que nous avons là « une éloge de la violence kamikaze »… euuuuh elle est où l’éloge ? Au contraire, et c’est là que je rejoins le propos de l’internaute cinéphile elbandito, le film dénonce ces violences gratuites que certaines idéologies imposent. Quant à la fin, finalement… ne correspond-elle pas à la psychologie du personnage principal ?
Une chose est sûre : il ne devrait pas être révélé au tribunal les recettes détaillées d’une bombe artisanale. Après tout, nous ne sommes jamais à l’abri d’une vengeance…