Allemand aux origines turques, Fatih Akin est un réalisateur qui laisse rarement indifférent : certains portent aux nues tous ses films, d’autres détestent tous ses films, d’autres, enfin, sont partagés, selon les films, entre admiration et détestation. Avec "In the fade", film qui était en compétition au dernier Festival de Cannes, il est permis d’aller encore plus loin dans la dichotomie : on peut sortir de la séance en ventant la perfection de la réalisation et la qualité de jeu exceptionnelle de Diane Kruger, tout en émettant d’énormes réserves quant au choix fait par le réalisateur pour terminer son film.
L'histoire qu'il raconte présente 3 parties bien distinctes : tout d'abord, l'histoire d'une famille qui s'est crée dans des conditions difficiles, avec Nuri, turc et ancien dealer de drogue, devenu traducteur et vendeur de billets d'avion, Katja, belle aryenne à la blondeur resplendissante, et Rocco, leur fils de cinq ans. C'est en lui achetant de la drogue que Katja a fait la connaissance de Nuri et c'est l'arrivée prochaine de leur enfant qui a poussé Nuri à abandonner le trafic de drogue.
Ce chapitre se termine tragiquement par la mort, des suites d'un attentat à la bombe, de Nuri et de Rocco.
Le deuxième chapitre est consacré à l'enquête policière puis au procès d'un couple néo-nazi formé d'André et Edda Möller et suspecté d'avoir fabriqué et posé la bombe qui a tué Nuri et Rocco. Au cours de ce procès, l'avocat des deux suspects va exploiter toutes les failles qu'il pourra trouver dans les résultats de l'enquête policière et utiliser au mieux des témoignages favorables aux accusés.
Le verdict du tribunal va pousser Katja à vouloir se substituer à la justice de son pays : 3ème chapitre du film.
Depuis "Head-On" et "De l'autre côt"é, on connait les grandes qualités de réalisateur de Fatih Akin, et, quasiment tout au long du film, il est difficile d'émettre la moindre réserve sur ce qu'il nous propose dans "In the fade" : bien que, d'un volet à l'autre, le ton soit forcément différent, c'est toujours passionnant, c'est toujours très bien mis en scène, c'est toujours remarquablement interprété. C'est sans aucune lourdeur que le réalisateur montre le comportement de la famille de Nuri qui s'oppose à Katja en souhaitant que Nuri et son fils soient enterrés en Turquie. Pas de lourdeur non plus dans la peinture d'une police qui a une tendance naturelle à chercher des poux dans la tête des victimes plutôt que de rechercher les véritables coupables. Quant au procès, c'est bien sûr, comme c'est presque toujours le cas au cinéma, un véritable morceau de bravoure, avec la confrontation de deux femmes blondes, Katja et Edda, et celle des avocats des deux parties.
C'est en arrivant vers la fin du troisième et dernier chapitre, celui de la vengeance, que les choses se gâtent. Certes, c'est toujours passionnant, très bien mis en scène et remarquablement interprété, mais
le geste final commis par Katja apparaît forcément, dans le contexte actuel, comme très difficile à défendre.
Impossible, bien sûr, d'en dire plus sans "divulgâcher" la fin du film. Tout juste peut-on révéler que les deux scénaristes s'étant engagés dans une voie dont aucune issue n'était totalement acceptable, tant d'un point de vue cinématographique que moral, ils ont choisi de privilégier le cinéma plutôt que la morale ou le politiquement correct.
Dans une sélection officielle assez pâlotte, la vigueur de "In the fade", la qualité de sa mise en scène et l’excellence de sa distribution lui donnaient toutes ses chances pour l’attribution d’un Prix important, voire pour l’attribution de la Palme d’Or. La façon dont le film se termine rendait toutefois impossible l’attribution d’une telle récompense prestigieuse dans le contexte actuel. Restait l’option du Prix d’interprétation féminine pour Diane Kruger : c’est cette option qui a été choisie et ce n’est que justice. On notera que la fin du film n’a pas eu les mêmes conséquences de l’autre côté de l’Atlantique puisque In the fade s’est vu décerner le Prix du meilleur film en langue étrangère lors des récents Golden Globes.