''Mademoiselle'' ou la victoire de l'amour féminin sur la tyrannie masculine au début du XXéme siècle, selon Park Chan-wook. Soyons franc, un film profondément féministe réalisé par Park Chan-wook, c'est assez improbable. Petit rappel : Park Chan-wook est un réalisateur sud-coréen. Célèbre pour son excès dans la violence, ses films marquent en effet par un déchaînement de scènes violentes et cruelles. Ainsi, ''Sympathy for Mister Vengeance'' et ''Old Boy'' après visionnage, laissaient leur empreinte dans notre esprit de par leurs scènes de tortures (souvent insoutenables) et une réflexion sur la vengeance. Quant à la douteuse ''Lady Vengeance'', elle présentait déjà un personnage féminin revanchard et indépendant. Mais, jusqu'ici, rien ne laissait penser que ce coréen réaliserait un si beau thriller érotique avec des personnages féminins aussi forts.
Le postulat de base est assez classique : un escroc, se faisant passer pour un comte cherche à se marier avec Hideko (la mademoiselle du titre). Cette dernière vit dans un manoir avec son oncle bibliophile. Pour arriver à ses fins, l'escroc introduit une domestique, Sookee, chargée de servir Hideko et influencer ses sentiments. Mais les deux femmes vont irrésistiblement se rapprocher l'une de l'autre. De cette histoire, à l'origine toute britannique (tiré du livre ''Du bout des doigts'' de Sarah Warters) le réalisateur et le scénariste en ont fait un film tout coréen. En effet, ''Mademoiselle'' est en premier lieu un éblouissant patchwork des genres cinématographiques : du film historique, on passe au film de domesticité, puis l'érotisme arrive teinté d'une légère touche de comédie avant que le thriller ne se mêle à tout cela. En ce sens, le film est inclassable puisqu'il se classe justement dans le cinéma coréen, où le mélange des genres est d'usage. Certes l'érotisme et le thriller dominent mais, information pour les cœurs sensibles, ce n'est pas un film ultra-violent (comme les premiers films du réalisateur) ni un film morbide : c'est avant toute chose une histoire d'amour entre deux êtres qui découvrent leurs sentiments.
Thriller, ''Mademoiselle''? Oui, mais avant tout dans sa construction narrative plutôt que dans son suspense. Divisé en trois parties, ponctués de coups de théâtre et de flash-back, le film est diantrement tordu (son côté thriller vient de là), tout n'est pas compréhensible (comme souvent chez le metteur-en-scène) même si à la fin, le jour se fait dans l'esprit du spectateur (qui n'a pas intérêt à se faire larguer!). Le film est comme un immense dessin en bas d'une colline : on doit escalader cette dernière pour contempler dans sa totalité le dessin majestueux. On peut aussi voir le thriller dans le basculement de point de vue qui s'opère (le film démarre avec le point de vue de Sookee, pour se focaliser ensuite sur Hideko) et surtout dans la romance des deux femmes où la première scène d'amour peut être vu comme la chute d'un polar (l'avant était fondé sur des regards, des frôlements...
Mais que ne serait ce film sans son évocation de l'amour entre ces deux femmes ? A ce titre, Park Chan-wook parvient à délivrer aux spectateurs (avertis tout de même!) deux types d'érotisme. Le premier beau et simple vient de l'amour sincère de ces deux femmes qu'on découvre dans la première partie : les scènes d'amour parviennent à éviter la vulgarité par cette idée constante d'union et de double. En effet, tout le long du film, les femmes se déguisent, se coiffent de la même manière. On attendrait presque à voir les deux visages se superposer comme dans ''Persona'' de Bergman (1966).
Cette union, cette protection mutuelle apparaît clairement dans une scène d'amour : les deux jeunes femmes rejoignent et serrent leurs mains comme deux partenaires qui signent un pacte.
Vient ensuite dans la deuxième partie l'érotisme froid et clinique des hommes :
séances de lecture en costard cravate avec mannequin, manipulations et tortures
. Ici, la femme est dominée par l'homme macho et pervers. Deux visions pas si idiotes au fond. Le sexe au cinéma peut déboucher ou bien sur la douceur ou alors sur le morbide. Emotionnellement parlant, le film prend un grand tournant et d'ailleurs un grand risque : tout ce qui était beau et touchant dans la première partie est anéanti dans la deuxième, glaçante et dur. Deux parties antinomiques dans l'émotion mais cohérente dans la narration puisque elle éclaire certains points et révèle le véritable visage de l'oncle. Mais tout ceci n'est en fait qu'une tromperie : les personnages sont manipulés autant que Park Chan-wook dirige nos sentiments. Ainsi a t-il préparé la troisième partie où l'émotion revient en force et cela à un rythme rapide. C'est en cela que l'histoire d'amour est incroyable : à l'heure où les films romantiques (qui présentent la naissance des sentiments entre deux êtres) sont la plupart du temps lent , ''Mademoiselle'' présente l'histoire sentimentale à un rythme trépidant, dopé par le fait que le film est aussi un thriller, et par moment une comédie.
De cynique, Park Chan-wook est passé à romantique, d'outrancier dans la violence, Park Chan-wook est devenu tendre et franc dans l'érotisme féminin, de metteur-en-scène virtuose et quelque peu tapageur, Park Chan-wook est resté virtuose, le tapage en moins. Dans les films précédents, on pouvait être gêné par des scènes violentes et s'interroger sur l'utilité de certaines de ces scènes. Ici, tout est mis au service de l'émotion ce qui fait que la mise-en-scène est moins voyante qu'avant. Pourtant, celle-ci est absolument magnifique : il faudrait saluer toute la distribution artistique. Costumes et décors somptueux (on ne se dit jamais ''c'est très beau mais c'est gratuit et ça ne sert à rien''), musique émouvante, le tout mis en valeur par cet écran étonnemment large grâce à un objectif grand angle. Ajoutons à cela le talent des acteurs : les deux femmes sublimissimes (une préférence pour l'irradiante Kim Min-hee dans le rôle de Hideko) et même les hommes (beaucoup moins gatés!
Avec ''Mademoiselle'', Park Chan-wook mêle bon nombre de genres cinématographiques et livre un film plein comme un œuf. Complexe (je n'ai pas tout compris) pour notre plus grand bonheur, c'est finalement le thème de l'amour des femmes et leur libre-arbitre qui émerge du film. C'est la première fois que l'émotion apparaît chez Park Chan-wook sans recours au moindre effet gore (le film est interdit au moins de 12 ans et non 16). Enfin, il faut dire que ''Mademoiselle'' fut le grand oublié de Cannes qui préféra l'ultra-social et politique ''Moi, Daniel Blake''. Dommage, la belle ''Mademoiselle'' mérite tous les prix au monde.