Curieux, mystérieux, déroutant, troublant puis oppressant, le dernier long-métrage de Na Hong-jin déploie tout progressivement ses ailes, dans sa croisade audacieuse parmi une pluralité de genres cinématographiques. D’une introduction policière un brin burlesque, le cinéaste enchaîne sur le fantastique, le surnaturel, l’horreur, nous immergeant toujours plus efficacement dans son projet au fur et à mesure du durcissement de l’intrigue, de la mise en abime de la rationalité au profit de d’un mysticisme qui fera, à bien y réfléchir, froid dans le dos. Ayant bâti sa renommée internationale avec un thriller bluffant, d’une rare efficacité, The Chaser, le cinéaste sud-coréen, après un plus timoré The Murderer, nous revient en forme olympique, signant là un film à la maturité démontrée de par le mixage soigné et progressif des genres. Une montée en puissance, une véritable descente aux enfers, proposée sur un ton variable qui s’adaptera toujours aux retournements, jusqu’à un final qui, bien entendu, outre qu’il soit glaçant, demandera une certaine part de réflexion.
On le sait depuis des années, le cinéma sud-coréen est puissant, catégorique, peu enclin aux concessions. De Old Boy à J’ai rencontré le diable, en passant par justement The Chaser, les cinéastes locaux nous auront éblouis de par leurs manières d’appréhender le drame, principalement policier. Si ici Na Hong-jin se permet une approche conventionnelle, c’est pour mieux, ensuite, déterrer les morts, briser les codes et exposer tout son savoir-faire face à la complexité permanente de son projet. Si l’on en viendrait à douter, parfois, de la manière dont le cinéaste pilote son navire, il apparaît, en définitive que tout est écrit, prédéfinit, manière de démontrer qu’encore de nos jours, des réalisateurs sont maîtres des œuvres sur lesquelles ils planchent. Le cinéma sud-coréen, pour cela, démontre toute sa force, son intelligence, de par son indépendance, de par l’absence de limites qui font, n’en faisons pourtant pas une généralité, de projets tels que celui-ci des projets hautement captivants pour tous cinéphiles souhaitant sortir du carcan commercial hollywoodien ou européen.
Na Hong-jin, en effet, ne prend pas son public par la main, l’incitant plutôt à s’immerger de lui-même, si possible, dans son univers à la fois terre-à-terre et surnaturel. Le cinéaste maîtrise parfaitement la démarche, passant régulièrement ses vitesses, enfonçant toujours d’avantage le père de famille, personnage principal qui évolue littéralement sous nos yeux, dans une spirale infernale dont il est purement impossible de prédire le fin mot. Couleurs froides, décors naturels immersifs et splendides, mythologie locale, le cinéaste nous imprègne parfaitement de sa vision d’un monde froidement cruel. Il est, on le dira franchement, impossible de rattacher The Stangers à une quelconque référence occidentale tant les mœurs divergent, tant le cinéma sud-coréen possède sa propre indépendance. S’il faillait pourtant faire un amalgame, histoire de donnée une idée aux novices de vers quoi ils se dirigent, on dira que l’on pourrait retrouver ici la froideur des polars scandinaves, la curieuse dédramatisation de l’horreur, dans les attitudes, des frères Coen, et finalement, l’esprit le plus macabre qu’il soit possible d’imaginer dans le traitement de l’horreur, du surnaturel. Un mélange dynamique et explosif qu’il s’agit de dompter.
Pour conclure, si je suis d’ordinaire peu dérangé par les versions françaises, il n’est pas conseillé ici de découvrir le film en VF. La VOST s’avère nettement plus pertinente du fait que doubler des acteurs coréens dans la langue de Molière relève de la gageure, voire de l’impossibilité de retranscrire toutes les expressions, les attitudes et les intonations. Prenez-en bonne note, sachant, en effet, que The Strangers, dans sa version francophone, perd beaucoup de sa subtilité. Quoiqu’il en soit, voici encore un perle cinématographique venue des contrées sud-coréenne, une confirmation, une de plus, que ce cinéma-là se porte à merveille. Le festival de Cannes ne s’est pas trompé en proposant ce film hors compétition. 17/20