"Jessie" ("Gerald's Game" en VO) fait partie de ces projets qui partent avec une addition de talents déjà alléchante sur le papier : Mike Flanagan Stephen King Carla Gugino.
Pour le premier, sa filmographie tenant jusqu'à maintenant du sans-faute l'a propulsé comme un des nouveaux petits prodiges du cinéma de genre à suivre de très près (cet animal a même réussi à pondre une suite potable à "Ouija", un des teen-bidules horrifiques les plus insipides de ces dernières années, un génie en puissance qu'on vous dit !).
En ce qui concerne le second, passons sur les multiples adaptations plus ou moins réussies de son oeuvre littéraire pour nous arrêter sur ce roman si particulier qu'est "Jessie" dans la carrière (trop) prolifique de l'écrivain. Réputé longtemps inadaptable, le livre a cette particularité d'entraîner le lecteur dans la psyché d'une femme fleurtant avec la démence car entravée par des menottes à un lit suite à un jeu sexuel qui a mal tourné. On est d'accord, ce n'est pas forcément le projet le plus aisé à porter à l'écran mais le bouquin, premier volet d'une trilogie composée de "Dolores Clairbone" et de "Rose Madder", témoigne de l'amour de King pour les personnages féminins forts qu'il aime révéler à la lumière de leurs souffrances (et il ne les épargne pas ce bougre !).
Enfin, la dernière est une actrice remarquable hélas trop souvent cantonnée dans des seconds rôles loin d'être la hauteur de son talent. Alors la voir ainsi, ici, dans un tel rôle et en tête d'affiche ne peut qu'attiser notre curiosité.
Il ne restait plus qu'à savoir si cette accumulation de talents allait déboucher sur un résultat à la hauteur de nos espérances... Et la réponse est un oui, un grand OUI, tant "Jessie" transpire la réussite sur tous les plans !
Ce qui laisse tout d'abord bouche bée, c'est cette aisance avec laquelle Flanagan a réussi à mettre des images sur les mots de King que l'on pensait pourtant impossible à transposer ailleurs. Installant son huis-clos assez rapidement, il nous introduit dans la tête de son héroïne finalement de la plus simple des manières en enchaînant avec fluidité (d'une manière qui semble presque "logique") des artifices qui tiennent aussi bien du théâtre que du cinéma.
Au malaise que provoque déjà la situation initiale répondra une espèce d'escalade sans fin de péripéties inconfortables (toujours parfaitement mises en scène) au fur et à mesure que les traumatismes les plus enfouis de Jessie ressurgiront sous diverses formes pour lui donner la force de survivre. C'est bien simple, l'état de malaise dans lequel vous entraîne "Jessie" ne vous lâche jamais (tout comme le faisait le roman), chaque porte de la folie entrouverte par l'héroïne devant la prise de conscience de sa condition rendant le voyage encore plus éprouvant. Et puis, c'est aussi l'occasion pour Flanagan de toucher à toutes les ramifications du cinéma d'horreur: si le réalisateur s'est souvent amusé à varier les sous-genres de la catégorie dans sa filmographie, le roman de King lui offre ici l'occasion d'en mêler plusieurs pour révéler tout le potentiel de cette histoire aussi hybride qu'unique. Du survival psychologique à quelques passages gores en passant par l'introduction du fantastique lorsque la perte de repères ne suffit plus à expliquer l'innommable, Flanagan semble jongler à la perfection avec les différents terrains et directions où il choisit d'emmener son récit tout en gardant en son coeur l'évolution de son héroïne par l'oeil des prédateurs qui l'ont toujours entouré au cours de son existence. Bref, aussi bien sur le fond que sur la forme, Mike Flaganan signe là peut-être son plus grand film (oui !) tant il réussit avec facilité (et en tenant la distance) un exercice sur lequel bon nombre de réalisateurs se seraient cassés les dents.
Il faut dire qu'il a pour le seconder une Carla Gugino qui excelle, tout simplement, en livrant peut-être la plus incroyable prestation de sa carrière derrière toutes les facettes de son personnage malmené de la pire des manières. Sans oublier également celles de Bruce Greenwood et de Henry Thomas (amusant de signaler que ce dernier était ironiquement une figure paternelle rassurante dans "Ouija 2") , tous deux parfaits dans leurs incarnations des "monstres" à visage humain du film.
S'il fallait retenir absolument un bémol dans "Jessie", ce serait peut-être son épilogue, trop long et trop démonstratif, mais, même là, il se révèle nécessaire pour apporter un point final à la destinée tumultueuse de son héroïne du même nom.
Ce serait surtout pour chipoter en fait parce que "Jessie" est à la fois probablement le film le plus abouti de Mike Flaganan, une des meilleures adaptations récentes de Stephen King et un écrin parfait pour révéler le talent de Carla Gugino. Qui s'en plaindrait ?