J’ignore si c’est l’âge, mais il me semble que Steven Spielberg réalise des films de plus en plus sages, et de plus en plus liés à l’Histoire. Cette fois, la Guerre Froide est évoquée, un événement qui se caractérise plus par ses faits psychologiques que par ses faits d’armes. Nul n’ignore qu’en ce temps-là les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. étaient difficiles, qui plus est gangrénées par une tension poussée à son paroxysme, pétrifiant le reste du monde qui retenait son souffle, n’osant intervenir de peur d’appuyer par mégarde sur le bouton "on", synonyme de déclenchement des hostilités. "Le pont des espions" réussit à traduire l’atmosphère qu’il y avait à l’époque, tout en étant instructif. Avec un peu de recul, on s’aperçoit que la Guerre Froide s’apparente ni plus ni moins à une immense partie d’échecs, théâtre d’un affrontement entre deux grands maîtres : on prépare ses pièces pour la défense, tout en se donnant la possibilité de répliquer. Pour cela, il faut être capable de savoir anticiper les coups à l’avance. Nous retrouvons toutes les phases de ce jeu, la plus flagrante étant l’anticipation
(avec la non condamnation à mort du supposé espion russe, en prévision d’un hypothétique échange)
. Chaque coup est réfléchi, pesé, mais aucun des deux adversaires ne veut lancer l’assaut final. Alors on fait preuve de roublardise, et on insère des taupes chez l’adversaire, sans jamais l’admettre, cela va de soi, sinon ça équivaudrait à une déclaration de guerre. Pour ce faire, sont utilisées des personnes lambda, des gens communs passant totalement inaperçus. Des gens comme vous et moi. Des gens comme Mark Rylance, celui-là même qui interprète Rudolf Abel à qui on donnerait le bon dieu sans confession avec son regard perdu derrière ses lunettes. Lui ? un espion russe ? allons, allons. Peu importe. Bien qu’elles en soient persuadées, avec des preuves accablantes, les autorités américaines lui offrent un avocat hors pair, alors spécialisé dans les assurances : James Donovan, interprété par un Tom Hanks des grands jours, et dont le charisme va bien aux convictions sacerdotales de son métier. Son entêtement et sa connaissance pointue des mots font mouche et en dérangent plus d’un, mais sa vision des choses finit par payer, tant et si bien qu’il sera amené plus tard à mener bien d’autres négociations, que je vous laisse le soin de découvrir juste avant le générique de fin. Tour à tour grave et flamboyant, on ne peut être qu’admiratifs une fois de plus devant le talent de cet homme. Mais deux acteurs d’exception, "ce serait mieux", non ? Mark Rylance, dont l’expérience est loin d’égaler celle de Spielberg et de Tom Hanks, ne se démunit pas et parvient même à se hisser à leur niveau. En prime, il réussit à apporter une certaine dose d’humour à la maladresse exquise. Je parlais au début de cette critique d’un film sage, signe que le cinéaste devient mature et cherche à interpeller le public sur des choses essentielles et graves. Nous pouvons saluer la maîtrise avec laquelle il a signé ce film à l’atmosphère rétro des années 50, à l’esthétique d’une rare élégance sobre, à la photographie soignée sur des plans sublimes dont seul Spielberg a le secret. Pour autant il manque ce petit quelque chose d’indéfinissable qui happe l’adhésion totale du public comme elle avait été suscitée par "La liste de Schindler". Certes, les enjeux sont bien plus compliqués qu’il n’y parait, mais c’est tout de même présenté de façon simple et efficace. Il est vrai que "Le pont des espions" ne comporte pas autant de scènes chocs comme la plupart de ses films historiques. En réalité il n’en comporte qu’une seule, quand bien même le camp des gentils
(les américains qui traitent bien leur prisonnier)
et le camp des méchants
(les russes qui malmènent le pilote américain et l’étudiant)
ont été stigmatisés.
On en vient à regretter que Rudolf Abel ne soit qu’invité à rejoindre la banquette arrière après avoir retrouvé les siens.
Je trouve que c’est un peu cliché et patriotique, ce qui m’étonne du réalisateur tant il a fait preuve par le passé de clairvoyance et de neutralité. Par contre, son souci du détail est resté intact, puisqu’il a tourné la plupart des scènes sur les lieux cités, tout en s'efforçant de trouver de vrais véhicules d'époque, et un véritable Douglas C-54 Skymaster. On ne peut que féliciter les recherches et le travail de fourmi effectué dans les archives, y compris au niveau des personnages et de leur histoire, puisque "Le pont des espions" est basé une histoire vraie. Le réalisateur réussit à nous faire entrer dans cette cause (qu’on pourrait qualifier d’humanitaire tant il y a d’enjeux derrière), et nous ne voyons guère passer les 132 minutes d’un film qui n’est pas le meilleur de la filmographie du réalisateur, mais très loin d’être le moins bon.