De superbes plans de côtes battues par les flots de la mer de Barents ouvrent et ferment ce film tout en faisant entendre une sublime musique composée par Philip Glass : la mer, splendeur de la création mais aussi, selon la Bible, lieu où séjourne le monstre marin Léviathan. Source d'inspiration pour le philosophe Thomas Hobbes ou pour Julien Green qui en fit le titre d'un de ses romans les plus sombres, voici donc à nouveau Léviathan affairé à répandre le mal dans un coin perdu du nord de la Russie.
Ce serait une erreur que de voir dans ce film un portrait de la Russie, comme si cet immense pays pouvait être réduit, le temps d'une fiction, à un microcosme. Zviaguintsev dénonce certains des maux qui affectent son pays, l'alcoolisme et la corruption, comme ils affectent bien d'autres pays sur la terre. Le contexte est russe, la réalité décrite ici est universelle.
Décidé à spolier Kolia de tous ses biens, de sa maison, de son garage, de sa terre, le maire d'une bourgade, petit potentat local, est prêt à tout pour parvenir à ses fins. Il ne fera fi d'aucun autre pouvoir, ni de celui de la justice, ni de celui de l'Eglise, mais saura habilement les mettre de son côté. Au tribunal, à deux reprises, lors de scènes kafkaïennes, la juge récite le rendu de son jugement à la vitesse d'une mitraillette crachant ses balles. Quant au représentant de l'Eglise, il dit et répète que le pouvoir vient de Dieu, ce qui sous-entend qu'il n'y a rien de mieux à faire que de plier devant la volonté de qui le détient.
Que peut faire Kolia, sur qui peut-il compter? Sur son ami avocat venu de Moscou le seconder ? Pas si sûr... Sur son épouse et sur son fils ? Comme le pauvre Job du récit biblique, ne perdra-t-il pas tout ce qu'il possède et tout ce sur quoi il pouvait s'appuyer ? Et quand il pose la question : « Pourquoi ? Pourquoi, mon Dieu ? », rien ni personne ne lui répond, si ce n'est le bruit de la mer où rode peut-être encore Léviathan. Quant au pope qu'il rencontre un peu plus tard et à qui il demande où est le Dieu de miséricorde, c'est en citant le livre de Job et en racontant l'histoire de ce dernier qu'il répond. N'y a-t-il donc rien d'autre à faire que de se résigner ?
Dans une interview, Zviaguintsev explique que, selon lui, le livre de Job ne se termine peut-être pas aussi bien qu'on l'imagine... Et il ajoute que ce qu'il cherche à dénoncer, ce n'est pas la religion en tant que telle, mais plutôt le pharisaïsme. Dans ce cas, si sa critique est sévère, elle l'est à juste titre !
C'est un film implacable et terrible que ce « Léviathan », mais sûrement pas un film de trop : ce qu'il dénonce, la collusion des pouvoirs en vue d'écraser le faible, il le dénonce avec efficacité et pour de justes raisons ! 8/10