Wim Wenders aborde la 3D comme un support plastique apte à explorer la spatialité de l’humain, à travailler la profondeur de champ de la douleur, du remords et de la création, si bien qu’en faisant sienne une technique aujourd’hui massivement employée à des fins commerciales – elle est l’apanage du blockbuster –, il met en relief l’écriture, part du blanc de la page comme étendue encore intacte et recouverte de neige pour y imprimer des traces de vie, des corps qui s’agitent et qui gravent malgré eux dans le blanc de l’espace une mémoire qui, une fois l’hiver passé, reste vivace. Porté par la sublime partition d’Alexandre Desplat, le long métrage devient le conservatoire d’un mystère opaque qui ne se résout jamais : lorsque Tomas réemprunte le chemin de l’accident – littéralement, « ce qui arrive » –, de façon mentale ou physique, des nuées orangées s’emparent de lui, le plaçant devant le spectacle d’un crépuscule auquel nous, spectateurs, n’avons pas accès ; crépuscule de la création, naissance de l’inspiration, tentation impossible d’une famille recomposée qui tire de son impossibilité sa puissance créatrice. Le film se construit sur une architecture complexe faite de lignes horizontales et de barres verticales qui séparent les personnages, organisent l’espace intime, structurent les relations entre les protagonistes : l’écrivain est constamment à l’écart, coupé des siens par un mur, un pilier, une baie vitrée ; il regarde en arrière, à l’image du rétroviseur ou de la vitre dans laquelle se réfléchit l’image de Christopher, adolescent devenu personnage de fiction et qui amène le long métrage à basculer du côté du romanesque le plus paranoïaque. Ann ne comprend pas, dit qu’il est difficile à vivre : pourquoi ne pas réagir ? extérioriser ses émotions ? ses mains ne tremblent pas… C’est que Tomas navigue entre deux rives qui le raccordent chacune à un domicile particulier : le domicile conjugal, lieu défini par la stérilité et l’ennui ; le domicile meurtri de Kate et la fascination morbide qu’il déclenche dans l’esprit du romancier, un intérieur sans cloison véritable qui lui donne accès aux concrétisations physiques – la douleur éprouvée par la mère et le fils – et matérielles – le dessin réalisé par Christopher – du drame à l’origine de son inspiration. Ou comment la création convertit la douleur en source vive d’inspiration. Résurrection. Wim Wenders conçoit la 3D comme un moyen de faire surgir la profondeur de ce qui est absent, à l’image de la maison enfouie sous la neige dont le trajet pour y parvenir et ramener l’enfant en état de choc paraît interminable, trajet qui s’effectue pourtant en quelques secondes dans le sens inverse. Les lieux communs se chargent d’une valeur symbolique forte à mesure que s’y engouffre une histoire ; et cet adage qui revient sans cesse et qui donne son titre au film, cet « Every Thing Will Be Fine » qui ne vaut guère mieux que les « quoi » répétés à tout bout de champ par les jeunes, et dont se moque Mina, apparaît telle la promesse à chaque mot renouvelée d’un happy end, le dénouement « nul » par excellence (selon Mina une fois encore) des œuvres littéraires grand public mais qui pourtant resplendit quand s’enlacent un fils et son père de substitution, réunis par l’accident, c’est-à-dire par la vie. Une œuvre lumineuse, bouleversante, immense.