Lorsqu'elle avait 16 ans, Sara Forestier a vécu une histoire qu'elle a eu envie de raconter, celle de son petit copain de l'époque qui lui avait caché son illettrisme. Elle en parla alors quelques mois plus tard à Abdel Kechiche avec qui elle tournait "L'Esquive", lequel l'a encouragée à l'écrire. La comédienne explique : "C'était en 2002, cela fait onze ans, et cette histoire ne m'a jamais quittée, ni mon désir pour elle, mon envie de la raconter. Car au-delà de l'aspect personnel, cette histoire me semblait être une belle promesse de cinéma, il me semblait que le postulat de cet illettré qui cache son secret pouvait amener des situations de cinéma comiques ou tragiques."
M est le premier long métrage réalisé par Sara Forestier, qui a mis sept ans à en écrire le scénario. Elle confie : "J’ai besoin de temps pour faire bien les choses. J’ai mis énormément de temps à trouver mon acteur principal, c’est ce qui m’a fait prendre beaucoup de retard. Je ne regrette pas. Il le fallait car c’est un rôle qui était très compliqué. Et puis dans tout ce parcours, j’ai pu bien faire mûrir mon film."
Le tournage de M a été retardé d’un an. A l'origine, c'est Adèle Exarchopoulos qui devait tenir rôle principal et non Sara Forestier elle-même. Elle explique : "Au début, je me refusais complètement l’idée de jouer dans mon propre film. J’avais effectivement envie d’être complètement libre en tant que réalisatrice. Mais je crois au destin des films. Vraiment. Chaque film a sa propre destinée et son propre parcours. J’ai mis tellement de moi dans ce rôle en fait que finalement ce n’est peut être pas un hasard si c’est moi qui le fait."
L’autre comédien principal, Redouanne Harjane, est issu du stand-up et trouve dans M son premier rôle au cinéma.
Côté influences pour la mise en scène, Sara Forestier cite quelques cinéastes qui ont jalonné son parcours. La comédienne confie : "On ne peut pas s’empêcher d’être influencé. Evidemment je vais être influencée par Kechiche, Doillon… Et par mes goûts en tant que spectatrice. C’est un mélange de tout. Par exemple, Blier. Son rapport aux dialogues a beaucoup influencé ma manière de les écrire dans mon film."
Sara Forestier voulait que le ton de son film fasse cohabiter l'âpreté et la comédie. A titre d'exemple, elle cite la scène dans laquelle Mo est au restaurant et ne peut pas lire la carte, où le tragique et le comique émergent de l'aspect pathétique de la situation. La réalisatrice précise : "L'idée pour moi est que le spectateur ressente différentes émotions en même temps, qu'il ne sache pas s'il a envie de rire ou de pleurer. Qu'il ne soit pas seulement posé confortablement en train de regarder cette histoire, mais plutôt qu'il ne sache pas sur quel pied danser, et qu'il reste donc constamment en mouvement dans son rapport à l'histoire qui se déroule."
Sara Forestier voulait que les spectateurs assimilent l’esthétique du film à celle d'un western moderne. Dans cette optique, Mo et Lila qui se rencontrent dans une rue déserte en béton d'aujourd'hui et dépouillée, avec une aridité urbaine. Elle précise :
"Le parking où git la caravane de Mo, désert, proche d'un champ d'herbes folles, nature aride, sauvage. Un décor aride pour deux solitudes de cowboys. Il y a une forme de dramatisation dans les westerns par les décors qui me plaît. Comme j'aime l'idée du duel dans le western. La course de voitures est le duel moderne auquel participe Mo. A l'image du dernier duel crucial dans les westerns, où le gentil affronte le méchant, il y a une forme assez classique de climax dans le "duel" final avec la dernière course de voiture à laquelle Mo participe. Le duel où la mort guette."
Sara Forestier a choisi de parler de l'illettrisme pour ce film parce qu'il s'agit d'un handicap qui n'est pas forcément flagrant et qui permet de créer des situations de "mensonges" où le spectateur peut être en empathie totale avec le personnage dont il est le seul à connaître le secret. La cinéaste raconte :
"Et c'est à la fois un handicap suffisamment sérieux et douloureux pour créer un isolement, une réelle exclusion. Et plus personnellement, c'est un thème qui m'a bouleversée et me bouleverse, la honte qui paralyse. Car le vrai mutique dans cette histoire, c'est Mo. Il s'accroche à sa honte, il ne lâche pas. Il se sert du handicap de Lila pour masquer le sien. Et je crois que l'écho personnel de cette histoire qui résonne en moi a à voir avec quelque chose de plus intime, la honte dans un aspect plus large et plus flou…"