Que ce soit en tant que réalisateur ou scénariste, c’est un fait : je ne suis jamais resté indifférent face à un film de Charlie Kaufman.
Parfois ce fut pour le meilleur (« Eternal Sunshine ») et parfois pour le pire (« Synecdoche New-York »), mais jamais je n’ai eu l’impression de perdre mon temps.
Et c’est un petit peu ce qui m’ennuie avec cet « Anomalisa ».
Pour sûr que ce film est pétri de qualités, d’intentions et de sens. Pour moi c’est indéniable.
Mais d’un autre côté je trouve que la mécanique s’est trop vite enlisée me concernant, la faute à des choix audacieux mais pas toujours pertinents.
Alors oui j’adore cette capacité qu’a Kaufman à générer un malaise doux ; un malaise produit avec trop de politesse et de bienveillance pour qu’on puisse chercher à s’y opposer vraiment.
En cela ce monde de poupées est astucieux à plus d’un titre.
Il est sans aspérité, inoffensif, presque confortable. On s’y loverait sans difficulté. C’est d’ailleurs ce que fait le héros. Quand bien même ne s’y sent-il pas à l’aise ; quand bien même en est-il prisonnier ; il ne se débat pas.
…Il se laisse sombrer.
Et puis ce monde de poupées a aussi ceci d’habile qu’il exprime également la nature de ce confort.
Le confort ici est l’aboutissement d’un conformisme.
Tout a été standardisé, contrôlé, maîtrisé. Il n’y a plus d’aspérité, au point que chaque personnage croisé parle de la même voix.
Alors forcément, oui, quand dans tout ce cocon fade ressort soudainement une voix dissonante – dissonante parce que produite par un être cabossé – soudain l’aspérité devient jolie. Elle devient le signe de l’exploration de quelque-chose d’unique, de précieux.
…L’exploration de quelqu’un.
Et si sur le papier j’apprécie qu’un film sache nous faire ressentir cela – et qu’il passe par un dispositif aussi original et signifiant en termes de sensations pour le faire – d’un autre côté, je ne peux ignorer le constat suivant : « Anomalisa » m’ennuie.
Alors forcément, sitôt je dis cela que je crois déjà entendre ce bon vieux Moizi me susurrer à l’oreille ces mots de Jean-Marie Straub : « on est responsable de son propre ennui. »
Il n’empêche, la sensation est là. Et je pense qu’elle est là pour une raison bien simple.
Lisa ou pas, ce film ne change pas. Il ne bouge pas.
Les mots disent que Michael se sent soudainement revivre au contact de Lisa. Mais le problème c’est que, formellement parlant, Michael reste cette marionnette de plastique qui use de ses formules toutes faites.
Est-il sincère ? Est-il en train de ressortir à nouveau toute sa bullshiterie verbeuse qui anesthésie tout ce monde ?
A un moment donné, la forme ne suit pas le fond.
Et à dire vrai, le fond pour moi peine à vraiment s’exprimer à cause de la forme.
Car je ne vais pas vous mentir davantage, ce que j’ai perçu de cet « Anomalisa » je ne l’ai perçu qu’après coup. En le digérant.
Quel mal à ça me diriez-vous ?
Eh bien pour moi le mal vient déjà du fait qu’à cause de cela je n’ai pas pu profiter du film pendant son visionnage (alors qu’à mon sens avec d’autres choix formels le film pouvait gagner sans y perdre) mais à cela s’est ajouté un autre problème, c’est que toujours à cause de cela je n’ai au jour d’aujourd’hui aucune envie – ni intérêt – à le revoir.
Car au fond mon visionnage d’ « Anomalisa » n’a pas éduqué mon regard. Ça m’a juste permis de comprendre ce qui n’allait pas.
Ces voix toutes identiques par exemple, c’est un procédé certes très malicieux, mais le problème c’est que ce procédé, pour ma part, il m’a fallu beaucoup trop de temps pour l’identifier.
Par exemple, pendant tout le premier tiers du film, la seule femme qu’on entend c’est Bella, l’ex de Michael.
Le problème, c’est que lors de sa première apparition, on ne voit d’elle que sa tête de poupée, associée à une voix d’homme. Conséquence : moi j’en ai déduit que Michael sortait avec un mec aux cheveux longs qui se faisait appeler Bella.
Et puis au bout d’un moment on finit par voir le personnage de Bella. Il a de la poitrine. A ce moment là je me suis dit qu’il devait s’agir d’un trans.
Dans les faits, il m’a fallu un certain moment avant de me rendre compte que toutes les voix féminines étaient la même voix et, a fortiori, il m’a fallu également un certain temps avant de me rendre compte que le personnage de Lisa était le seul à être doublée par une femme.
Et si j’ai fini par comprendre l’intention cachée derrière tout ça, c’est uniquement parce que j’ai pris la peine de regarder la fiche IMDB du film. Parce qu’en fin de compte, même le générique ne révèle pas le casting vocal, du moins pas en précisant qui doublait qui.
Donc en gros, l’intention du film m’a été rendue accessible par une fiche IMDB, et non par le film lui-même.
Et quand bien même cette intention m’est-elle accessible à présent que ça ne change malheureusement pas grand-chose à mon appréciation du film ; du moins mon appréciation purement sensorielle.
Revoir « Anomalisa » (ce que j’ai fait partiellement pour les besoins de ce billet) c’est revoir un film monocorde alors qu’à un moment donné on est censés sentir une corde vibrer.
Mais malheureusement les poupées restent des poupées.
Le ton plat reste plat.
« Anomalisa » n’incarne pas pleinement son idée à l’écran et c’est pour moi son principal problème.
Et je pense que ce n’est pas un hasard si j’ai bien plus adhéré aux projets de Charlie Kaufman-scénariste plutôt qu’aux projets de Charlie Kaufman-réalisateur.
Je crois malheureusement que Charlie Kaufman n’a tout simplement pas le même sens de la mise en scène qu’un Spike Jonze ou qu’un Michel Gondry.
Je pense qu’il a les idées, les concepts, mais pas le flow.
Aussi, oui, « Anomalisa » est un film audacieux qui mérite le détour. Ça, c’est à n’en pas douter.
Par contre « Anomalisa » est-il un film accompli et agréable à regarder ? De ça, par contre, malheureusement, rien n’est moins certain.
C’est ce qui fait que d’un côté je ne regrette pas d’avoir vu « Anomalisa »…
…Mais c’est ce qui fait aussi que, malgré tout, qu’après avoir vu « Anomalisa » je ne peux m’empêcher d’en nourrir… des regrets.
voir un film de Charlie Kaufman...