Le film de Sarah Gavron a un double mérite, d’une part celui de rappeler que le vote des femmes est une acquisition récente en Europe (1912, au regard de l’histoire, c’est hier) et de montrer combien cette acquisition s’est faite dans la douleur et dans le sang. L’Histoire a édulcoré le combat de ces femmes : on a toute appris à l’école l’histoire de ces militantes mais elles nous paraissaient bien délicates avec leurs jolies robes, leur tract et leur chapeau. On aurait presque pu croire qu’il leur avait suffit de réclamer pour obtenir. Sauf que la réalité historique est moins pittoresque que cela et le film de Gavron en est l’illustration. Le scénario est construit au travers du destin d’une jeune femme de 24 ans, issue d’une classe ouvrière très pauvre dont on pourrait penser qu’elle a d’autres préoccupations que celle de glisser un bulletin de vote dans une urne. Or, à quelques années de la future Révolution Russe, il n’est jamais question ici de lutte des classes, les femmes bourgeoises n’ayant pas plus de droit politiques que les ouvrières, les suffragettes sont de tous les milieux, elles se mêlent, s’entraident, se soutiennent. C’est peut-être ce qui est le plus déconcertant pour le spectateur de 2015. Dans le regard des parlementaires qui leur refusent tout et des policiers qui sont chargés de les faire taire, en revanche, le spectre du marxisme et de l’anarchisme est présent, même si ce n’est jamais formulé. Il faut se remettre dans le contexte politique de l’époque pour comprendre le jusqu’au-boutisme des autorités sur cette question. Choisir une jeune mère de famille, jolie, pauvre et méritante c’est le moyen pour Sarah Gavron de happer son spectateur et de provoquer l’empathie et l’émotion. Le scénario décrit en réalité une sorte de fuite en avant : cette femme bien timorée au début se radicalise de plus en plus, les hommes qui l’entourent (son mari, son patron, les policiers qui veulent l’intimider) la pousse imparablement vers la lutte. En la privant de tout, ils pensent la ramener à la raison or, en réalité, en la privant de tout, ils en font une militante qui n’a plus rien à perdre puisqu’elle a déjà tout perdu. C’est parfaitement démontré par le film et ça donne matière à réflexion, non ? C’est Carrey Mulligan qui donne corps à Maud Whatts, et même si je lui reconnais le mérite de la sincérité, surtout dans les passages difficiles, j’ai eu un peu de mal avec son jeu. Je ne sais pas comment dire, je l’ai trouvé un peu atone dans son interprétation, elle ne m’a pas « happée », elle ne m’a pas vraiment impressionnée, ca manquait de souffle. Sans que je puisse mettre le doigt exactement sur ce qui a cloché, il y a quelque chose qui a cloché dans son interprétation. En réalité, si je veux être parfaitement honnête, c’est le film tout entier qui a quelque chose qui cloche sans qu’on sache très bien quoi. C’est peut-être la forme qui rebute un peu. Dans un Londres de 1912 reconstitué avec soin, très gris, très sale et très pollué (à tel point que le film pourrait être en noir et blanc, on verrait à peine la différence), Susan Gavron filme en choisissant un grain d’image grossier. Dés les premières images ça saute aux yeux, on a l’impression d’être devant un vieux film, presque un documentaire. C’est probablement voulu pour donner plus de véracité à son scénario, pour éviter qu’on ne le taxe d’« hollywoodien ». C’est sur que de choisir ce genre d’image, de réduire la musique à son strict minimum, de filmer caméra à l’épaule les scènes de lutte ou d’action, c’est un parti-pris que je peux comprendre mais çà rends au final le film très « sec », presque austère. Honnêtement, j’ai décroché à deux-trois reprises du film, à cause de scènes un petit peu redondantes, d’un rôle principal interprété avec trop peu de passion et d’enthousiasme et de seconds rôles pas assez écrits à mon gout, notamment celui tenu de façon presque anecdotique par Meryll Streep. Et c’est d’autant plus rageant que le sujet du film est passionnant, important même pour la femme que je suis ! Mais il y a des bonnes choses quand même, je ne veux pas être trop dure : le rôle des maris par exemple. Le mari pharmacien, plutôt bourgeois et partisan du combat de sa femme tranche avec le mari ouvrier, que l’on pense au début réceptif au combat de sa femme mais qui se braque jusqu’au point de non retour. De la même manière qu’il y a des maris aux attitudes différentes, il y a des femmes aux attitudes différentes, celles qui se battent, celles qui sont passives et attentistes et celles (mais c’est moins montrées par le film) qui ne veulent pas sortir de leur rôle de femme soumises : ça existe à l’époque, il parait même que ça existe encore ! En résumé, en dépit de quelques défauts, « Les suffragettes » est un film à la gloire de ces femmes courageuses et obstinées qui ont payées très cher un droit que certaines d’entre nous négligent aujourd’hui, et rien qu’à ce titre, il mérite d’être vu.