Outre une fin d'année très occupée, ma présence en pointillé ces derniers temps s'explique aussi par le peu d'attrait devant les sorties post-cannoises : la moyenne d'étoiles des critiques sur Allociné ne dépasse que très rarement un petit 2,5, et le film allemand ou tunisien qui pourrait être intéressant se donne dans des cinémas bien éloignés. C'est donc presque par hasard, voire par élimination que je suis allé voir ce premier film présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, et dont il faut bien dire je ne savais pas grand-chose. Le film s'ouvre avec des images prises lors des défilés du 14 juillet 2011 et 2012, le changement de président étant assez visible. Passées en accéléré avec un musique à la Benny Hill, les images de la tribune présidentielle se levant, s'asseyant, ou applaudissant sont assez savoureuses en ce qu'elles révèlent le ridicule compassé de ce protocole.
Puis apparaît l'héroïne, la fille du 14 juillet, robe bleu et bottines marrons, qui vend "Le Communard", des pavés en mousse et des guillotines miniatures dans un panier comme en avaient les ouvreuses il y a un demi-siècle. Les dialogues sont décalés, le ton doinelien, et on se demande quand même où on a mis les pieds, entre "Zazie dans le Métro", "Week-end" et "Céline et Julie vont en bateau". Puis au fur et à mesure on s'habitue à ces raccords mal foutus, à cette impression de décalage entre l'image et le son, et à l'alternance de jeu atone et d'explosion de surjeu des acteurs. Des situations burlesques, des répliques absurdes commencent à faire sourire, puis franchement rire : "Quel âge à cette statue ?" "3000 ans et 2 mois" "Comment pouvez-vous être aussi précis ?" "Quand je suis arrivé ici il y a 2 mois, on m'a dit qu'elle avait 3000 ans".
Régulièrement, un personnage déclare "J'ai un truc à vous raconter", puis se tourne vers la caméra, et on ouvre un flashback au milieu d'un autre flashback. Parfois une voix off à la Truffaut déclame un texte littéraire : "En partant de Paris, Truquette pensait à la Seine. Elle allait vers la mer, et soufflait un vent de liberté...". Ce goût littéraire ce retrouve dans un flashback où deux filles demandent à Pator de choisir entre Racine et Camus, mais celui-ci répond Tchékhov : et hop, on se retrouve à faire de la luge dans la campagne russe enneigée... Cette impression d'improvisation, de pensée par flot est démentie par Antonin Peretjatko : "Il n’y a rien de plus faux. C’est écrit à la virgule près. Comme le plan de travail est très lourd, je ne pars jamais en tournage sans un découpage précis, avec un repérage des décors, un plan au sol pour la position de la caméra, parce que sinon je sais que je vais perdre énormément de temps".
De même, l'impression de décalage n'est pas fortuite : le réalisateur a choisi de tourner en 16 mm, et à un rythme de 22,5 images-secondes, ce qui donne un son plus aigu et un effet de postsynchro. Mieux, les faux raccords évoqués plus haut sont intentionnels : "Je cherche à ce que ça ripe un peu à chaque fois qu’on passe d’un plan à l’autre, à éviter le raccord parfait. Il ne s’agit pas de bâcler mais de poser des postulats esthétiques, ça donne un effet "débraillé" ou "foutraque" totalement assumé. Ma hantise est de perdre cette malfaçon aux finitions du film en lissant tout." Qu'il se rassure, cette malfaçon reste bien visible, et elle participe à l'effet d'étrangeté poétique et à la drôlerie surréaliste qui baignent tout ce premier film atypique et attachant.