Dans le domaine de la science-fiction, cet opus appartient au genre de l’anticipation. Dans ce sens, le film tente de donner un minimum d’explication scientifique. Alex Garland, le scénariste/réalisateur, ne ménage pas ses efforts pour répondre à la question : comment? Pour résumer, cette œuvre aborde l’Intelligence Artificielle (IA) à l’aune des techniques contemporaines. La narration est effectuée à la manière d’un thriller.
Ce film soulève plusieurs questions, la première, c’est de savoir si Ava est une « véritable Intelligence Artificielle ». A mon sens, la réponse à cette question est tranchée.
Une des rares scènes passées semble montrer que les précédentes versions de l’IA développaient le souhait de sortir de façon autonome. Sans que ce soit programmé par Caleb, cette volonté est sans doute une conséquence inévitable de la création d’une IA. Son apparition est une preuve de sa ressemblance avec un être vivant, de son niveau de conscience et de son individualité. Il y en a une qui manifeste ce souhait de façon autodestructrice : elle se fracasse les poignets contre les murs.
Le comportement de l’androïde concourt à leur attribuer un caractère humain.
Aussi, durant le dénouement, elle démontre quand elle est toute seule qu’elle peut montrer des émotions spontanées : elle est ravie de sortir.
Quel que soit la réponse à la question de l’IA, le mimétisme avec l’humain est nécessaire pour développer l’histoire.
A cet égard, la base de l’intrigue, c’est que Nathan a décidé de concevoir un test de l’IA en partant de son envie de sortir.
Le rapport que Nathan entretient avec l’humanoïde est glauque et le fait qu’on compatisse avec l’être artificiel est une des réussites de ce long-métrage.
L’histoire entretient le doute sur les intentions et la sincérité des protagonistes. Par exemple, il y a une ambivalence des intentions de Caleb : attirance, humanisme ou les deux ? Le film démêle progressivement les fils des manigances des personnages de façon plutôt logique. Les interrogations et les réponses se succèdent, je passe sur un scénario bien construit pour aborder un point qui m’intéresse.
Le fait sur laquelle je me focalise est la trahison infligée à Caleb par Ava. La question soulevée est celle de la capacité à créer des liens sincères de cet être artificiel. A-t-elle totalement fait semblant pour manipuler Caleb? Est-elle triste lorsqu’elle voit son « père » mourir ? Ce n’est pas évident. Dans l’hypothèse d’une capacité d’empathie, elle a peut-être utilisé cette aptitude provisoirement pour nouer des liens, dans la mesure où cela servait ses buts.
Durant les séquences finales, le spectateur est placé devant une question : l’abandon de Caleb par Ava est-il correctement amené. Cette trahison peut sembler disproportionnée, inutile. De plus Ava a abandonné son homologue sans état d’âme après s’être servi d’elle. Ce qui donne l’impression d’être face à un être insensible. Et puis ensuite, on nous montre son émotivité lorsqu’elle part seule ; manifestement elle est émerveillée et heureuse de sortir. Son attitude contraste avec ses actes, elle paraît d’autant plus abominable qu’elle présente une apparence humaine.
On risque de considérer que le dénouement est dérangeant, dans le sens où le film nous pousse à compatir avec l’être enfermé présenté comme une victime (la scène du déchirement du dessin), et qu’ensuite on nous montre que cet être est capable de commettre une infamie.
Mais si la duplicité d’Ava est déplaisante moralement, cela ne l’empêche pas d’être plausible dans cette fiction. Une des problématiques du film touche à l’hybris de Nathan, qui produit un être qui peut échapper à son contrôle. En conséquence, il a produit un monstre (quel qu’en soit les apparences), c’est-à-dire une créature source de risque. A ce sujet, les dialogues des protagonistes font référence à Prométhée, au projet Manhattan et l’éventuel remplacement de l’humain par des êtres artificiels. Le discours suggère une catastrophe potentielle.
De son côté, elle peut se considérer comme une forme d’intelligence ennemie ou concurrente de l’humanité.
Les agissements d’Ava sont totalement cohérents avec le propos général du film. Dans Ex Machina, la révolte des machines se double d’un drame relationnel.
Le film ne répond pas à nos attentes morales mais son récit est cohérent, en conséquence, si cet opus nous dérange, c’est fait de manière justifiée.
Une des questions du long-métrage porte sur la dangerosité de l’IA et Alex Garland y répond.
J’aborde maintenant la réalisation et les considérations technologiques. Il y a un contraste entre la sensation d’incarcération du complexe souterrain et l’immensité dépeuplée à l’extérieure. Le paradoxe ainsi présenté est superficiel car les deux caractéristiques participent d'un enfermement : l’espace de l'intrigue est clôt à l’intérieur et isolé à l’extérieure. La mise en scène est « claustrophobe », l’espace intérieur est compartimentée et les accès contrôlés. Les scènes sont majoritairement situées en intérieur, dans des pièces étroites, et pourtant, les nombreuses cloisons vitrées donne une vue plus large. Aussi, des effets de transparence sont mis en œuvre par les vitres et reflets dans le complexe. Certaines pièces ont même une baie vitrée qui donne sur l’extérieur. La base n’est que partiellement enterrée : ils sont à flanc d’une berge d’un fleuve. L’espace est étroit mais visuellement ouvert. C’est une prison aux murs transparents, un peu comme celle d’Hava, qui d’ailleurs est enfermé avec un accès au monde via le réseau. Si l’on ajoute ces spécificités avec les scènes d’observation d’autrui via les caméras, on a l’impression d’une réalisation qui tend momentanément vers le voyeurisme.
Lors d’un deuxième visionnage, le plan du début prend tout son sens, lorsque Caleb apprend qu’il a réussi le concours, on le voit à travers son écran.
L’aspect voyeuriste est lié aux caractéristiques bien connues du réseau internet qui permettent une violation plus ou moins large de la vie privé (l’utilisation des cookies, piratage et vol de fichiers et photos privés, espionnage électronique et tout simplement l’affichage inconsidéré de la vie privée sur internet).
Alex Garland intègre d’autres techniques modernes à son scénario.
En effet, l’IA de Ava est liée à l’exploitation des données collectées sur une vaste population, permise par l’utilisation massive (majoritaire) d’un moteur de recherche. Nathan tire également parti de l’espionnage des utilisateurs de Smartphone, dont les expressions faciales sont captées et associés à la voix. Il se sert de ces données pour qu’Ava mette en œuvre une reconnaissance efficace des émotions.
Le concept de l’IA est donc examiné à travers le prisme des conceptions technologiques modernes. Ce qui donne un aspect contemporain au traitement du sujet.
D’autre part, il y a un point qui alerte mon attention, c’est la justification ambigüe par Nathan de l’attirance potentiel d’Ava pour un homme, par une référence à l’art. J’ai eu l’impression que c’était une diversion pour cacher ses manigances. Et pourtant son discours sur l’art automatique est peut-être une clé de compréhension du fonctionnement d’Ava.
Caleb considère que l’intelligence est avant tout un moyen de survivre. Il estime que la sexualité de cette machine est superflue et pense probablement qu’elle a pu être établie pour biaiser le test
(pour lui, la question est d’autant plus importante qu’Ava correspond à ses goûts. Son visage a été créé par Nathan selon les préférences de Caleb, qui ont été extrait de son profil internet). Ce dernier soupçonne sans doute une manipulation
.
Si on se demande si Nathan fait diversion avec son discours sur l’art, nous avons une première réponse fournie par une scène suivante durant laquelle Ava nous informe qu’il ne dit rien de vrai.
Cependant, j’ai échafaudé une autre théorie : le discours de Nathan sur « l’art automatique » est une explication du mécanisme de pensée d’Ava. Son IA serait un savant mélange de contraintes programmés et d’exercice aléatoire. Cet exposé lénifiant de Nathan nous apporte peut-être une clé de compréhension de l’intelligence.
Dans cette séquence, le réalisateur jonglerais avec l’aspect thriller et la problématique scientifique.
En guise de conclusion, j’ai été troublé par Ava, cet être étrangement mécanique et attachant. J’ai eu l’impression de voir un remake sombre de Pinocchio. Le film utilise la crainte d’un être artificiel qui imiterait l’humain en tout point, même dans l’interaction sociale, voire même qui le dépasse sur certaine compétences relationnelles. Nous serions alors remplaçables. Le film soulève également de vastes questions que je n’ai pas traitées ici. L’histoire est complète mais le film conserve des questions en suspens : que fait Ava après avoir atteint sa liberté dans le monde humain ? Quelles sont les conséquences ? La fin est donc ouverte.___________________ Remarques hors-sujet : ____- Dans le couloir, des masques sont accrochés au mur, rangés de la figure la plus grotesque au visage le plus humain. Est-ce une représentation de l’IA qui se rapproche de l’humain ?
______- A part ça, j’ai compté 4 cranes au cours du film. Explication ?
un danger de mort qui plane?