Auteur du roman « La Plage » et scénariste de "28 Jours Plus Tard" et "Sunshine", on se demandait si un jour Alex Garland arriverait à se détacher de Danny Boyle. Le voir enfin voler de ses propres ailes en écrivant le scénario de sa première réalisation ne pouvait que me donner envie de voir le résultat ; d’autant plus qu’il a pris le parti risquer de s’attaquer à la SF et surtout à une thématique que ce genre à déjà moultes fois illustrer sur grand écran : l’intelligence artificielle. Sans forcément chercher à chambouler cette thématique (il a été tellement abordé de façons si différentes jusqu’à aujourd’hui : "Metropolis", "Blade Runner", "2001 l’Odyssée de l’Espace", "Terminator", "A.I.", "Ghost in the Shell", "L’Homme Bicentenaire", "I, Robot", "Her", "The Machine", "Chappie"…), Garland souhaite apporter sa pierre à l’édifice en appuyant son récit sur un contexte actuel assez ambigu vis-à-vis de la technologie : on recherche à tout prix l’évolution technologique au point de vouloir voir un jour un véritable robot à notre image, mais nous avons aussi peur que cette « création » puisse au final trop nous ressembler et d’avoir des réactions identiques à celles d’un humain (la fameuse peur du « miroir »). C’est ainsi que l’histoire va faire intervenir que trois personnages qui vont demeurer tout du long dans un seul et unique lieu clos : Nathan (Oscar Isaac), une sorte de Mark Zuckerberg barbu et hyper intelligent, invite l’un des jeunes programmateurs de sa société, Caleb (Domhnall Gleeson), pour lui confier une mission : déterminer si sa dernière création, un androïde aux traits féminins qu’il a nommée Ava (Alicia Vikander), possède ou non une A.I. équivalente à celle d’une conscience humaine…Si le sujet semble simple et connu pour tout amateur de SF, son traitement a le mérite d’être très prenant : le « héros » doit simplement accomplir un test de Turing (test théorisé en 1950 par Alan Turing, consiste à mettre en confrontation deux humains avec un ordinateur : si celui qui engage les conversations n’est pas capable de dire lequel de ses deux interlocuteurs est un ordinateur, on peut donc considérer que le logiciel de l’ordinateur a réussit le test) sauf que d’habitude ce genre de test se fait à « l’aveugle », et ici il est directement confronté face-à-face avec Ava : il sait qu’elle est un robot…ce qui rend la détection de l’I.A. bien plus subtile et difficile. Le film va alors se voir rythmé par les conversations entre Caleb et Ava visant à déterminer si elle passe le fameux test en question. Tout est quasiment fondé sur les dialogues : chaque mot, chaque tournure de phrase à son importance et on se retrouve face à des séquences très prenantes et quasi hypnotiques qui laisse transparaître le jeu des acteurs et le talent du scénariste tout en instaurant crescendo une tension qui vire au malaise. En effet, entre ces fameuses discussions en trompe l’œil face à de grande baies vitrées, l’opposition entre l’environnement du lieu (des montagnes, des glaciers, des cascades) et le lieu lui-même (des sous-sols sombres et de longs couloirs anxiogènes), le comportement des protagonistes (Nathan qui peut tout voir dans le centre avec ses caméras, l’attitude très « rentre-dedans » d’Ava), Garland parvient à rendre l’atmosphère très rapidement pesante au point de se poser un paquet de questions (Ava peut-elle vraiment « penser » ? Une machine peut-elle avoir du libre-arbitre, analyser, juger, voire mentir et tromper ? Ava subit-elle l’ego de son créateur ? Quelles sont les véritables intentions de Nathan ? Caleb est-il manipulé par lui ? Où est-ce Ava qui l’utilise pour atteindre Nathan ?) C’est donc avec une réelle subtilité que le réalisateur arrive à nous prendre à parti tout en nous plongeant dans cette tension qui fait froid dans le dos. Une tension qui trouvera sa conclusion dans un climax magistral aussi beau que déstabilisant. Le métrage fait mouche, c’est sûr…et pourquoi donc ? C’est très simple : parce que nous sommes confrontés à une science-fiction crédible et hautement plausible (Nathan ne fait-il pas penser à Mark Zuckerberg ou Steve Jobs ? Son entreprise n’est-elle pas un ersatz de Google qui propose un moteur de recherche apprécié tout en s’impliquant dans la recherche robotique ? Ava ne ressemble-t-elle pas aux robots « uncanny » japonais ?) qui pourrait devenir réalité d’ici 15-20 ans, et qui n’hésite pas à s’opposer aussi aux théories religieuses et métaphysiques tout en y faisant référence (le test dure 7 jours tout comme il a fallu 7 jours à Dieu pour créer le monde, façonner l’espèce humaine et lui attribuer sa liberté…Si celui qui crée une machine capable de se comporter comme un Homme est un génie ; en en créant une capable de raisonner comme un Homme, Nathan n’est-il pas en droit d’être considéré comme un dieu ?) Tout ceci ne fait que renforcer énormément le message du film. Pour son tout premier métrage, Alex Garland nous livre une pellicule très correcte : "Ex_Machina" nous propose une approche intéressante de l’intelligence artificielle qui s’appuie plus sur l’aspect psychologique et la puissance dramatique des interactions entre les protagonistes que sur les effets visuels et l’action. Avec sa réalisation très léchée, ses effets spéciaux nickels mais sobres et son trio d’acteurs qui réalise une performance sans faute, le film vous tient en haleine dès les premières minutes et ce jusqu’au générique de fin. Cette fable d’anticipation manque peut-être un tout petit peu d’originalité, mais se révèle assez fine et cérébrale pour ne pas décevoir. Alors, n’hésitez pas et dépêchez-vous de découvrir "Ex_Machina" !