Avec Eyes Wide Shut, Stanley Kubrick livre une œuvre singulière, à la fois captivante et déroutante. Ce dernier film du maître cinéaste plonge dans les abysses du mariage, du fantasme et des jeux de pouvoir, mais sa complexité ne parvient pas toujours à masquer certains de ses défauts structurels. Pourtant, malgré ses failles, l’ambition de Kubrick et sa maîtrise technique en font une expérience cinématographique marquante.
Kubrick excelle à créer une atmosphère à la fois onirique et oppressante. Les lumières de Noël, omniprésentes, enveloppent chaque scène d’une aura mystérieuse, donnant au film une teinte paradoxale entre le merveilleux et l’inquiétant. Cette esthétique réfléchie confère à Eyes Wide Shut un style visuel inoubliable, renforçant l’impression d’un rêve éveillé.
Tom Cruise offre une interprétation subtile en tant que Dr Bill Harford, un personnage déchiré entre sa réalité quotidienne et une quête de sens dans un monde d’apparences et de secrets. Nicole Kidman, bien que moins présente, brille par son intensité dans le rôle d’Alice, une femme dont les aveux troublants servent de catalyseur à l’intrigue. Leur alchimie volatile donne au film un ancrage émotionnel essentiel.
L’orgie masquée, pièce maîtresse du film, est magistralement mise en scène. Les rituels, les masques vénitiens et la musique hypnotique de Jocelyn Pook créent une tension palpable, transformant cette scène en une allégorie troublante du pouvoir et du désir. Kubrick, fidèle à son style, évite les clichés et s’immerge dans le symbolisme, conférant à cette séquence une profondeur inattendue.
Malgré ses nombreuses qualités, Eyes Wide Shut n’échappe pas à des défauts notables. Le rythme, volontairement lent, finit par peser sur l’expérience globale. Certaines scènes semblent se perdre dans une contemplation excessive, affaiblissant l’impact émotionnel de l’histoire.
Le personnage de Bill, bien qu’au centre du récit, manque parfois de relief. Sa quête, qui aurait pu être une descente captivante dans les profondeurs de la psyché humaine, devient par moments mécanique. On peine à ressentir pleinement son évolution, tant il paraît déconnecté des événements qui l’entourent.
Enfin, certains éléments narratifs, comme le rôle de Victor Ziegler ou le sort de Nick Nightingale, restent trop énigmatiques pour offrir une satisfaction complète. Kubrick semble laisser délibérément des zones d’ombre, mais cela peut frustrer les spectateurs en quête de réponses.
Eyes Wide Shut est riche en symboles et thématiques, abordant le désir, la jalousie et les tensions sous-jacentes des relations humaines. Cependant, la froideur qui imprègne le film peut rendre son message difficilement accessible. L’intellectualisation, bien qu’efficace, éloigne parfois l’audience de l’émotion brute que l’histoire aurait pu transmettre.
Le film s’impose néanmoins comme une œuvre marquante, surtout pour ceux qui acceptent de dépasser ses imperfections pour en explorer les multiples niveaux de lecture. Eyes Wide Shut ne se dévoile pleinement qu’après réflexion, révélant une richesse qui échappe au premier visionnage. Sa capacité à hanter l’esprit du spectateur témoigne de la vision unique de Kubrick.
Eyes Wide Shut est une œuvre ambitieuse et audacieuse, mais inégale. Si certaines séquences et thématiques captivent, le rythme et les choix narratifs peuvent freiner l’immersion. Pourtant, l’aura hypnotique et la profondeur symbolique du film en font une expérience incontournable, malgré ses imperfections. Une exploration intrigante qui, bien qu’elle ne soit pas parfaite, mérite d’être découverte et redécouverte.