Eyes Wide Shut, œuvre finale de Stanley Kubrick, est une étude terrifiante du couple - et d'un couple en particulier. Le duo Kidman-Cruise, uni à l'écran comme à la vie, est disséqué, broyé, reconstruit. Adapté de la pièce d'Arthur Schnitzler, le film fourmille de mots qui tapent, qui blessent. Les monologues de Nicole Kidman sont d'une intensité rare (confession de l'adultère imaginé, récit du rêve...). L'actrice est transcendée par le rôle. Inutile de bouder son plaisir : on en a plein les mirettes ! Grâce à un sens incroyable de la mise en scène, Kubrick nous emporte dans les tourbillons de la psyché humaine (tromperie, paranoïa, folie) sans aucun temps mort. Vrai tour de force, le film en soi ne contient que très peu d'action - et les actions menées par William Harford sont souvent interrompues (il ne couche jamais avec les prostituées qu'ils rencontrent, par exemple) - et pourtant, Eyes Wide Shut n'est que tension, du début à la fin. Les errances de William donnent d'autant plus le tournis qu'elles sont filmées dans un studio anglais : le New-York filmé ici n'existe pas, il n'est qu'illusion. On déambule dans un labyrinthe mental en carton-pâte, on s'y perd avec jouissance. Les rues se ressemblent, les paysages se répètent, on est dans un cauchemar. Des mots, des ambiances qui font irrésistiblement penser aux films de David Lynch : les images sont mystiques, crues, brouillardeuses et mystérieuses. Un film intense qui fait fantasmer le spectateur à toute berzingue : sexe, célébrité, oligarchie, théories de conspiration, tout y est. Vous n'avez plus qu'à vous servir. Bon appétit.