Voilà bien longtemps que je n'avais pas revu ce dernier film de Stanley Kubrick que je n'avais pas pleinement compris la première fois et qui m'avait laissé pensif mais qui m'avait surtout fasciné ! Mais paradoxalement, mis à part les déambulations nocturnes de Tom Cruise, je n'en avait gardé que très peu de souvenir. Sous ses airs de thriller, voire même de thriller érotique comme c'était la mode dans les années 90, nous assistons en réalité à une mise à l'épreuve, celle d'un mariage. Nous suivons en effet ici Bill et Alice, très bourgeois mais également très proches dans la vie quotidienne (comme nous le montre la scène d'introduction dans la salle de bain), dont le mariage va être mis à rude épreuve après qu'Alice ait avouée ses rêves et fantasmes à Bill. L'année précédente, Alice avait en effet bien envie de se taper en marin, ce que Bill va ensuite ruminer toute la nuit en s'imaginant cet adultère qui n'a jamais existé, si ce n'est en rêve donc. Et cette notion de rêve est, dans le film, très importante puisque si Alice a des fantasmes rêvés, Bill va quant à lui tenter de réaliser ses fantasmes dans la vraie vie, comme pour "punir" sa femme. Mais sans jamais y parvenir, Bill étant toujours interrompu par quelque-chose, ce que l'on peut d'ailleurs percevoir comme de l'impuissance. Impuissance poussée jusqu'à la honte avec cette humiliation publique lors de la fameuse scène dans le manoir, humiliation qui s'apparente d'ailleurs à un cauchemar des plus communs : être nu devant une foule de gens. Cauchemar que fait également Alice d'ailleurs, comme si les deux personnages menaient la même existence et faisaient les mêmes expériences mais sur deux plans différents. Parce-que cette notion de rêve, elle est très importante, voire même cruciale et d'ailleurs induite dès le titre du film que l'on peut littéralement traduire par "les yeux grand fermés" ; rêves, fantasmes et réalité se confondant alors les uns, les autres. De plus, je ne vais pas refaire l'analyse du film mais de nombreuses personnes rapprochent le film des notions de Freud, notions sur lesquelles s'était déjà, apparemment, basé Arthur Schnitzler pour sa nouvelle "La Nouvelle rêvée" qui a inspirée le film. Et puis bon, cette notion d'onirisme est également induite par la nuit, Bill ne déambulant dans les rues et faisant ses expériences que la nuit, pour rentrer dans "la réalité" qu'au petit matin. Mais du coup, après le rêve - ou le cauchemar - vient la paranoïa qui vient ébranler Bill, pourtant très sûr de lui, en tout cas dans la première partie du film. Bill est en effet un bel homme avec la femme parfaite qu'il croit connaitre par cœur, possède un bel appartement à Central Park West et une belle situation professionnelle qu'il n'hésite d'ailleurs pas à faire savoir à tout monde ; montrant sa carte de médecin comme si cela pouvait lui octroyer un passe-droit (il en est de même pour l'argent d'ailleurs). Et puis, dans la seconde partie, lorsque la virilité de Bill n'est pas ébranlée par des insultes homophobes ou, au contraire, de la drague gay, c'est la paranoïa (que divers éléments viennent alimenter de manière plus ou moins fortuite) qui vient s'insuffler dans sa vie bien équilibrée, lorsque le cauchemar vient petit à petit remplacer le fantasme. Et c'est là que Kubrick est très fort puisqu'il arrive à également faire rentrer le spectateur dans cette paranoïa en construisant cette ambiance de thriller. Kubrick en profite également pour faire virer petit à petit son film dans quelque-chose de plus en plus angoissant ou en tout cas oppressant comme la chambre du couple par exemple, rouge et chaleureuse et au début du film puis bleue et froide à la fin. Concernant les acteurs, nous avons Tom Cruise et Nicole Kidman, parfaits dans ces personnages, d'autant plus que l'on peut alors rentrer dans l'intimité du couple Cruise/Kidman tandis que la secte du film peut être l'analogie de la scientologie qui essayait déjà de détruire le couple à l'époque. "Eyes Wide Shut" est donc un très bon film qui s'amuse à perdre son spectateur et qui fait partie, pour moi, des meilleurs du réalisateur !