On se pince, qu'il soit possible de monter de tel scénario de mauvais téléfilm en long-métrage. C'est certes filmé avec compétence et quelques moyens, l'équipe est bonne, les acteurs font ce qu'ils peuvent à l'intérieur des stéréotypes qui leur servent de personnage. A aucun moment Katell Killévéré et sa scénariste ne semblent s'être demandées ce qui pourrait rendre leur histoire singulière, originale, intéressante. Elles préfèrent dérouler mollement une tranche de 30 ans de la vie morne d'une famille éplorée (la mère est morte jeune, elle impose sa stature de sainte vénérée tout au long du film à travers sa pierre tombale, régulièrement visitée). Suzanne, l'une des deux filles du père veuf, entend vivre sa vie librement et se cogne dedans (fille-mère, elle disparait avec un délinquant dont elle est follement amoureuse, fait de la prison, en sort puis y retourne). Un seul objectif : siphonner les fonds d'aide. Et ça a marché, encore une fois. La grille d'écriture "commissions du CNC" est respectée à la lettre : ancrage social des personnages (le père chauffeur routier, la sœur ouvrière du textile, l'assistante sociale, la famille d'accueil), ancrage régional (PACA, pour la subvention locale)… Et ça fait l'ouverture de la semaine de la critique. Cinéma consanguin, qui tourne à vide, en circuit fermé. Tout est mort là-dedans, d'avoir déjà tellement servi. Aucune surprise, pas la moindre authenticité : une chronique misérabiliste autour de personnages inventés, fades et prévisibles comme dans un mauvais roman. Sur ce genre de sujet, le documentaire est aujourd'hui souverain : à quoi bon se farcir ces dialogues du domaine public, ces situation éculées ? Rien à sauver, même pas Sara Forestier (qui fut brillante et lumineuse dans "Le nom des gens", solaire dans "L'esquive" et plus récemment dans le très beau "Mes séances de lutte" de Doillon), ni François Damiens, de moins en moins convaincant dans des rôles ternes et larmoyants, et surtout pas la musique originale (téléfilm encore). On ne peut pas compter sur les "commissions" pour renouveler l'inspiration du cinéma social français, elles ne font que nous servir la même soupe depuis plus de 20 ans. Voyez plutôt les excellents "Louise Wimmer" ou "Donoma", produits en marge de ce système, pour vivre une vraie expérience cinématographique, portée par une urgence, aux antipodes de ce cinéma d'agrégé(e)s.