C'est toujours une gageure que d'évoquer, au cinéma, des destinées en les accompagnant dans la durée, c'est-à-dire pendant plusieurs dizaines d'années. Pour son deuxième film (après "Un poison violent, film déjà très réussi), c'est ce défi qu'a choisi de relever la réalisatrice Katell Quillévéré, et elle y excelle de manière totale.
Ce sont les destinées d'un père et de ses deux filles que nous suivons tout au long de ce film, sur une période d'à peu près vingt-cinq ans. Le père, Nicolas (François Damiens), est un chauffeur routier dont on saura rapidement qu'il est veuf et qu'il élève seul ses deux filles: Maria (Adèle Haenel), son aînée, et Suzanne (Sara Forestier), la cadette.
La belle harmonie qui semble régner dans cette famille sera mise à mal, chahutée, voire brisée de manière temporaire, au fil des événements, et ce dès le moment où Suzanne révèle qu'elle est enceinte et qu'elle met au monde un fils prénommé Charlie. On ne saura pas qui est le père. Suzanne aura, par la suite, à faire des choix ou à se laisser emporter par les circonstances: dans tous les cas, il y aura, dans sa vie, des rencontres et des décisions qui seront lourdes de conséquences. La rencontre la plus déterminante sera celle de Julien, un jeune type dont elle tombe follement amoureuse et qui lui fera tout larguer pour mener avec lui une vie aventureuse et chaotique. Les délits, la prison, le deuil, mais aussi la naissance d'une fille: c'est une vie malmenée que celle de Suzanne, mais une vie qu'il faut construire encore et encore, malgré les coups du sort. Et c'est bien, en fin de compte, la vie qui est la plus forte!
Pour évoquer vingt-cinq années de la vie ou des vies de ses personnages en à peine une heure trente de film, Katell Quillévéré, la réalisatrice, a été conduite à faire des choix de scénario assez radicaux. Il a fallu, bien évidemment, procéder à de nombreuses ellipses, laisser hors caméra beaucoup d'événements, et y compris parmi les événements les plus lourds de conséquences. Ces choix, au lieu d'amoindrir le film, l'enrichissent et ravissent le spectateur exigeant. Je l'ai déjà dit et je le redis: je n'aime rien tant que ce cinéma-là, ce cinéma qui mise sur l'intelligence du spectateur et qui l'invite, en quelque sorte, à combler les manques! Je déteste les réalisateurs qui n'ont pas de meilleure idée de mise en scène que de tout nous mettre sous les yeux (y compris le pire, comme les abominables séances de torture dans "Prisoners"!). Pas besoin de montrer les actes délictueux commis par Suzanne: ce que choisit de montrer Katell Quillévéré, ce sont les conséquences des actes, plus que les actes eux-mêmes. Conséquences sur elle-même, sur son père, sur sa soeur. Et c'est passionnant, bien plus que si nous étaient montrés Suzanne et Julien cambriolant une maison, par exemple.
Servis par des comédiens de grand talent (car, malgré son titre, ce film ne se concentre pas uniquement sur le sort de Suzanne), ce long-métrage est sans aucun doute l'une des meilleures surprises de cette fin d'année 2013 (une année pourtant fertile en beaux événements cinématographiques). 8/10