Peu de choses à sauver de ce film, terriblement long, et ennuyeux : un moineau sur la rampe d’un tapis roulant, une scène de rupture par visioconférence, une chanson de Bowie, les gestes d’un aquarelliste habile … les cent huit minutes qui restent se perdent entre déception et perplexité.
Perplexité, surtout, devant le nombre de critiques positives, toutes remplies de mots élogieux sur l’audace, l’originalité, la poésie de ce film. Même ceux qui, comme moi, se sont profondément ennuyés, semblent chercher des circonstances atténuantes à cette expérimentation hors champs, sur spectateurs volontaires. J’ai même lu les mots de « pamphlet social». Bien que je ne sache pas trop ce que cela veut dire puisqu’un pamphlet, en soi, est déjà une critique de l’ordre social, j’imagine qu’il s’agit de trouver une sorte de remise en question d’une société évidemment inhumaine et froide, évidement rongée par le wifi, les téléphones intelligents et la technologie en générale, dans les histoires juxtaposées de ces personnages.
Évidemment, car tout n’est qu’évidence. Gary, le personnage masculin principal ne supporte plus sa vie ? Quelques coups de fils pour prévenir son associé qu’on quitte la société, une discussion un peu longue par visioconférence pour annoncer à sa femme qu’on ne la supporte plus, la récupération de ses actions réglée par un avocat trop arrangeant pour ne pas être payé une fortune, quelques verres d’alcool, une bonne crise de larmes, le tout sans quitter sa chambre au Hilton, et voilà, on peut passer à autre chose et vivre enfin pour soi. Les enfants ? Bien sûr il faut penser aux enfants, sinon on est un salaud, mais finalement, il n’y a rien à leur dire, même pas la promesse d’un retour. Ils s’y feront, voilà tout.
Pour elle, Audrey, fraîche jeune femme, qui travaille comme femme de chambre dans un hôtel de luxe et dont on ne devine à peu près rien sinon qu’elle est sensée étudier mais qu’elle n’étudie plus, qu’elle avait un petit ami mais qu’elle n’en a plus, qu’elle a un petit appartement, qu’elle passe, comme la plupart des franciliens, 10h par semaines dans les transports en commun, que son père s’inquiète pour elle au téléphone, et que globalement sa vie n’est pas particulièrement passionnante, c’est encore plus simple. Il lui suffit, quand ça devient trop pénible, que les chambres sont trop longues à nettoyer, qu’elle va rater la soirée où sa collègue l’a invitée, comme dans un vieux Disney,
de s’échapper, s’envoler, de se laisser toucher par la baguette magique de quelque enchanteur invisible
pour pouvoir imposer au spectateur, prisonnier par la bienséance et l’obscurité, une bonne demi-heure de virevoltes libertaires au-dessus de l’aéroport de Roissy, mélange de béton, de friche, et de lumières artificielles, dont il convient de dénoncer, par le dressage et la manipulation laborieuse d’oiseaux autrement tranquilles, le caractère naturellement mécanique et impersonnel.
Difficile alors de s’attacher à ces deux histoires issues d’une humanité si singulière, une humanité limitée aux actionnaires de sociétés informatiques et à ceux qui vivent dans le monde d’Harry Potter. Difficile d’être touché par quelqu’un qui parle « d’état de guerre permanent », comme le rappelle la critique de Télérama, depuis la chambre d’un hôtel de luxe et qui n’a qu’à retourner une petite pancarte ou décrocher un téléphone pour que sa chambre soit propre et son dîner servi. C’est tellement faux que s’en est presque obscène.
Le problème vient peut-être aussi de ce que trop peu de choses sont exprimées pour réellement raconter ces histoires. Sauf dans la scène de rupture, qui est assez juste et dense, il n’y a, à la fois pas assez de mots et pas assez de non-dits, et si, dans ces agitations permanentes devant la caméra, rien ne se passe, rien ne permet non plus la contemplation ou l’apaisement, même pas l’émotion.
Reste la cigarette, dernière actrice importante, omniprésente, presque le filtre ultime pour respirer, enfin, dans ce monde dont il faudrait qu’on comprenne le caractère tellement oppressant et liberticide. Cigarette portée à la bouche de presque tous les acteurs, comme la ponctuation de chaque parole prononcée, de chaque bouffée d’oxygène volée aux fenêtres qui ne s’ouvrent pas assez, et qui finalement devient le seul discours réellement transgressif de cet ensemble. Le film est peut être bien un pamphlet, mais contre la suppression des emplois à la s.e.i.t.a.
Il est toujours délicat d’émettre un jugement négatif sur ce qui a demandé des efforts et du travail, surtout quand il s’agit d’une petite production cinématographique, mais sur ce film raté ou destiné à une si petite élite, les avis des médias ont étés si universellement trompeurs (sauf l’Humanité) qu’on ne peut pas ne pas penser à une collusion révoltante. Encore une fois, le spectre d’une malhonnêteté intellectuelle teintée de bien-pensance et de générosité fausse n’est jamais loin quand il s’agit de journalistes, et son haleine fade souffle d’encore plus près sur nos crânes inclinés s’ils sont parisiens.