En songeant à ce beau et étrange film de Pascale Ferran, ce qui me vient irrésistiblement à l'esprit, ce sont les romans du grand écrivain japonais Haruki Murakami. Comme l'auteur de "La Fin des Temps" ou de "1Q84", toujours prompt à faire surgir l'inattendu et le poétique du sein même de la banalité du quotidien et des vies les plus mornes, Pascale Ferran, dans son "Bird People", entraîne malicieusement et judicieusement le spectateur dans des contrées et sur des hauteurs qu'il ne prévoyait pas d'explorer.
Rien de moins poétique, en effet, semble-t-il, que le cadre et que les personnages choisis par la réalisatrice. Après s'être attardé sur les foules et sur quelques visages d'anonymes préoccupés, rêvant, se distrayant, allant à leurs occupations, la caméra se concentre sur deux d'entre eux: Gary (Josh Charles), un Américain en transit à Roissy et devant rapidement s'envoler pour Dubaï afin d'y conclure un important contrat, et Audrey (Anaïs Demoustier), étudiante travaillant comme femme de chambre dans l'hôtel même où réside Gary afin de financer ses études.
Banalité, disais-je, vies mornes, sans éclat... Sauf que survient l'inattendu, sauf que surgit un je ne sais quoi qui provoque de grands changements et de grandes prises de décision. Pour Gary, c'est en pleine nuit, alors que, dans sa chambre d'hôtel, il est assailli par de terribles crises d'angoisse, que vient inopinément la décision irrévocable: tout laisser, tout changer, tout abandonner de sa vie antérieure, donner sa démission, rompre avec sa compagne, tout recommencer! Par téléphones et par écrans interposés, il lâche tout, il abandonne le navire de sa vie puisque, il en est sûr, c'est un navire en perdition.
Pour Audrey, cela survient insidieusement, mais sans angoisse... Certes, il y a les questions que lui pose son père au téléphone et qui ont le don de l'agacer, certes il y a les exigences de ses employeurs qu'elle a bien envie d'envoyer paître... Certes, il y a eu aussi ce moineau qu'elle a aperçu, posé sur un rebord de fenêtre, et à qui elle a souri... Mais de là à tout quitter dans un envol, dans une escapade, dans une métamorphose comme celle qui s'empare d'elle, comme celle qui la fait s'élever à tire-d'aile, voilà bien ce à quoi personne ne pouvait s'attendre! Etonnant voyage qui lui fait rencontrer un cousin d'Haruki Murakami, mais peintre celui-là et qui s'empresse d'immortaliser la scène à coups d'encre de Chine.
Le voyage d'Audrey prend fin subitement alors que commence celui de Gary. Les deux personnages se croisent fugitivement. L'un a retrouvé son triste quotidien, l'autre s'en va, mais ont-ils vraiment pu se libérer durablement de l'aliénation du capitalisme contemporain? Rien n'est moins sûr...
Ce qui est sûr, par contre, c'est que Pascale Ferran, cinéaste rare (son film précédent date d'il y a huit ans!), a parfaitement réussi son retour avec ce film mêlant intelligemment le réalisme et le fantastique. 8,5/10