Oslo 31 AOÛT
Oslo 31 août, 00h01. La vie bat son plein et la ville est sans joie. Des hommes pas encore sûrs de leur maturité entrainent de jeunes étudiantes dans des bars passés de mode, tandis que leurs amours de jeunesse se résignent à vieillir, les hanches stériles ou trop larges. Personne ne danse mais la bière dilate les pupilles et assouplit la démarche. C'est un début.
La quiétude fait office de bonheur. Oslo est en fête puisque rien ne se passe.
Dit comme ça, on pourrait penser à un film intitulé L'Ennui réalisé par un descendant de Zola un jour qu'il pleuvait sur Hiroshima.
Heureusement le réalisateur, Joachim Trier, a l'optimisme glacé des survivants du Maelström qui, s'étant échoués dans la neige, se relèvent en souriant, les narines brûlantes et le sourire congelé, parce que dans quelques mois, le soleil de minuit brillera ailleurs que dans leurs rêves héroïques.
Il opte pour la comédie légère qui commence par le baptême d'Anders, de retour parmi les gens sains à défaut d'être en vie.
Tôt le matin, il enfile un blouson imperméable avant d'aller planter des pierres au fond d'un lac. Une idée si ludique qu'il en rit à gorge déployée et manque de se noyer.
On sourit presque. C'est un début.
On a connu des méthodes de désintoxication plus douces mais au pays du bain glacé c'est presque une faveur de le faire en été.
Comme disait Rimbaud, Je est Anders. Cette altérité serait un atout pour draguer, si les rêves d'anticonformisme de sa génération ne s'étaient essoufflés dans des rébellions perdues au profit d'une indifférence réussie.
Anders décide alors d'aller voir en ville si les filles sont belles et Oslo toujours triste parce Na ! (Ce qui veut dire « Je vous emmerde mais je reste poli ! » en Norvégien, on admirera la concision de la langue).
Dans une scène délirante, où, portant le masque d'un avocat général figé dans un crise de colique difficilement contenue, il refuse le travail rédempteur par une critique jubilatoire de la modernité journalistique, Anders montre son vrai visage de pince-sans-rire avec une conviction telle que seul le rédac' chef sourit. C'est toujours un début.
Certes, la pauvreté scolaire des sous-titres approximatifs rend peu compte de la moquerie libertaire du jeune journaliste en manque de combat depuis que les femmes de ménage ont remplacé les gladiateurs dans les arènes télévisuelles où le sang ne coule plus que dans les émissions pour enfants.
J'avoue avoir cru un instant que Joachim Trier déviait de sa ligne pour plonger dans le drame zolien précité. Mais c'est sans doute moi qui broie du noir depuis que j'ai relu La joie de vivre*.
Heureusement, dans la salle d'à côté le public semblait plus réceptif à l'humour discret que dans celle où j'étais mais peut-être qu'on y passait Le Mécano de la Générale.
Il est vrai qu'au-delà de la barrière linguistique, les clés de lecture de ce film sont aussi tordues que l'âme d'un trader philanthrope. On sait, par exemple, que c'est une parodie, uniquement parce que les filles les plus sexys osent porter des culottes petit-bateau rosâtres et distendues, que les tramways ne déraillent pas même en accéléré, que les pneus hurlent en silence et que les hommes sont lâches quand les femmes en fleur offrent leurs lèvres tremblantes sur un balcon enrobé de pénombre. C'est peu, même pour un début.
Dans la salle mitoyenne, Buster Keaton se tait mais n'en pense pas moins, il n'y a qu'à voir son visage de marbre.
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