Un film profond, humainement complexe, porté par l’interprétation rare de brio et de justesse d’une Audrey Tautou au sommet de son art.
Il s’agit là d’une brillante adaptation du célèbre roman éponyme de Mauriac, qui montre l’implacable destinée, sans réelle issue, d’une femme au prise d’un milieu rural étouffant qui la bridera jusqu’au limite de la folie.
Thérèse Desqueroux est un personnage complexe, on pressent dès les premiers instants une attirance saphique enfouie, inavouée pour sa "petite Belle-sœur", sa "petite amie" comme elle se plait à la nommer.
Jeune fille passionnée à l’esprit critique exalté, on assistera à compter du jour de ses noces, à la lente et inexorable asphyxie qu’une existence en huis clos se chargera d’achever.
La demeure provinciale de ses beaux-parents, tombeau où sa position sociale la confine, deviendra le théâtre de son union abaissante avec Bernard qui brisera sa vraie nature.
Eprise de liberté, comme on le constate dans la correspondance qu’elle entretiendra avec Jean, qui exalte en elle son désir de vivre, elle honnit et méprise le conformisme des petits propriétaires terriens qui font son monde mais qu’elles surpassent de beaucoup tant en intelligence qu’en profondeur.
Femme émancipée pour son époque, elle contrevient aux conventions sociales de son milieu en s’instruisant considérablement mais aussi en fumant ouvertement, tel un homme, aux vues et aux sues de tous.
Frêle et grave Thérèse, égarée dans un monde auquel son esprit vif l’empêchera toujours d’appartenir, enfermée de toute de son âme et de tout son être dans cette vie provinciale ou la simplicité d’esprit et les conventions étriqués font lois ; elle se voit devenir, spectatrice inerte de sa propre vie, la matrice et le pantin décharné d’un mari rustre et grossier.
Une cassure survient, profonde, au jour de ses noces, qui éveil chez Thérèse un dégout profond pour cette sexualité conjugale de devoir, bestiale, à laquelle elle ne peut échapper, qui par voie de conséquence, entrainera en elle un rejet profond de la maternité qu’elle conçoit comme le dernier des asservissements. Aucuns liens affectifs réels avec la petite fille qu’elle mettra au monde ne pourront éclore, étouffé par son ressentiment.
L’empoisonnement de Bernard, sa tentative vaine, lui apparait tout d’abord comme par un hasard heureux, une erreur commise initialement par son mari, mais qu’elle s’empressera de lui faire réitérer.
Ce crime, seule échappatoire en apparence, lui survient, comme par instinct, sans réel planification ou raison ; elle est aspirée par son crime, dominé par lui.
Pantin décharné d’un mari rustre et avilissant, par trop lucide pour ne pas sentir tout le morne de cette vie sans joie ni espérance aucune, elle prendra des risques inconsidérés en falsifiant grossièrement les ordonnances ; Inéluctablement, le masque tombera.
Montrant un dédain pour son propre crime, elle est placée par sa belle-famille en isolement forcée, long des regards, des questions qu’elle pourrait susciter ; l’apparence, le vernis social est sauf.
C’est une forme de justice familiale despotique, qui se substitut, par souci du respect des apparences, à la justice de la République. Elle se veut également compensatrice du faux témoignage que Bernard consenti, la mort dans l’âme, à faire au Procureur afin d’éviter l’opprobre.
Thérèse Desqueroux échappera en définitive à son milieu, à ces campagnards grossiers, ridicules, pour rejoindre Paris, mais jamais elle n’échappera à ses blessures, à elle-même, inconsciente de sa propre complexité.