Le dernier film de Claude Miller n'est pas, assurément, son meilleur. Claude Miller est le peintre des souffrances adolescentes, pas des états d'âme d'une Bovary de sous préfecture. D'ailleurs, il débute (et clôt) son film sur les images de Thérèse, et de son amie Anne, jeunes pouliches échappées dans la forêt landaise, que la bonne société bordelaise va bientôt faire rentrer dans le moule....
Thérèse épouse Bernard, comme une chose qui va de soi, prévue de toujours, naturelle, évidente. Ils s'aiment forcément, puisqu'ils se marient. Et ces deux forêts de pins qui, après les héritages, vont se rejoindre pour n'en faire qu'une, pour ne faire qu'un immense domaine, comme Bernard et Thérèse ne sont censés ne faire qu'un, elle les aime aussi. Elle n'envisage pas de faire sa vie ailleurs, et autrement. Et pourtant, elle lit beaucoup; si elle lit, elle s'échappe vers d'autres horizons. Elle fume comme un sapeur: n'est ce pas un moyen de montrer son dédain des conventions bourgeoises?
Ce qui va la faire basculer, c'est la découverte de la subite passion, dévorante et interdite, de sa petite belle soeur et amie d'enfance, Anne (excellente Anaïs Demoustier), pour le beau Jean (Stanley Weber). Ce n'est pas que Jean ne soit pas aussi un bourgeois; qu'il ne soit pas riche et ne possède pas de pins; mais il a des manières d'homme de la ville, et surtout, il est juif! Cette déraison, cet amour hors normes, hors conventions, c'est quelque chose que Thérèse ne connait pas. Qu'elle ne connaitra jamais. Pour défendre la famille (dit -elle, mais que de curiosités inavouées et inavouables se cachent derrière cette décision....), elle rencontre Jean, et à son tour tombe sous le charme de ce navigateur bronzé et bouclé, si différents des hommes de son milieu, aux chemisettes impeccables et aux raies tirées au cordeau. Qui, au contraire de Jean, ne s'intéressent pas à la mer. Qui sont des terriens, comme Bernard, passionné de chasse et de chiens....
Epouse indifférente, mère indifférente, enfermée en elle-même, elle va empoisonner petit à petit, sans intelligence et presque sans but, le malheureux Bernard avec l'arsenic qu'il consomme à toutes petites doses en tant que fortifiant. Et quand naturellement ça se découvre, les deux familles vont faire bloc, élaborer un mensonge cousu du fil blanc pour qu'il n'y ait pas de scandale! Pour qu'il n'y ait pas de procès! Mais un non-lieu! On comprend que le pharmacien qui le premier, portât plainte, face à une ordonnance manifestement falsifiée, s'empresse de rentrer dans le jeu, ne souhaitant pas perdre sa riche clientèle.... C'est l'hypocrisie de la haute bourgeoisie, selon Mauriac. Celle qu'il a détesté, sans jamais rompre avec elle. Et cette bourgeoisie coalisée, en la coupant à jamais de sa fille, en l'enfermant seule entre deux domestiques garde-chiourmes, dans une des propriétés de la famille, va lui infliger une punition bien pire que celle que la justice lui eût infligé. A la fin, Bernard, qui se révèle plus conventionnel et borné que méchant, va libérer l'oiseau qui partira mener une vie libre à Paris. Jusqu'au bout, ils ne se comprendront pas. On imagine que Thérèse, qui n'a ni véritable désir, ni plan de vie, continuera à être insatisfaite -mais ceci est une autre histoire...
Miller n'a sans doute pas eu tort de choisir, pour incarner Thérèse, Audrey Tautou, la plus exécrable actrice du cinéma français. Insupportable Amélie Poulain, exaspérante Mathilde (d'Un long dimanche de fiancailles), elle trouve ici son meilleur rôle, loin des petites filles grimacières. Avec son mince visage buté, son style vieillot, elle compose une Thérése introvertie, peu sympathique, mais très vraie. Quant à Gilles Lellouche, plus qu'inattendu dans le rôle de Bernard, il est épatant. Les rôles des différents parents (Catherine Arditi, Francis Perrin...) sont très bien tenus aussi.
D'où vient notre sentiment mitigé? Sans doute de n'avoir pu entrer en empathie avec aucun des personnages. Sans doute parce que les souffrances d'âme de Thérèse nous restent extérieures. Cela dit, c'est du cinéma solide, à la Tavernier, sans doute enfin, Miller nous avait il habitués à plus de subtilité.