Premier film de George Lucas, THX 1138 représente autant un ovni dans la carrière du réalisateur que pour le cinéma en général. Sorti des suites du succès artistique de 2001 : L'odyssée de l'espace, il incarne avec surprise le renouveau de la science-fiction du Nouvel Hollywood, tant au niveau de son esthétique que des thématiques abordées, se plaçant à des années lumières du cinéma commercial qu'il nous livrera bien des années plus tard.
Film étrange et passé inaperçu à l'époque, son principe est aussi simple que génial : plaçant le spectateur dans une nouvelle esthétique dystopique, il décide de l'épurer totalement avec un brio rare, balançant ses acteurs (dont l'énigmatique et charismatique Robert Duvall) dans un monde impitoyable bien qu'en apparence des plus paisibles.
Effrayant en cela qu'il est d'une banalité horrible, d'une simplicité impressionnante : servi sur des touches de blanc profondes et envahissantes, l'univers cauchemardesque du jeune Lucas est aussi fascinant que redoutable, réussi grâce à sa fantastique première demi-heure d'exposition, aboutie de bout en bout; que ce soit esthétiquement, philosophiquement (le rapport à l'amour entravé par les dogmes d'une société hyper religieuse et droguée, plus proche du fanatisme dissimulé que du repos feint) ou scénaristiquement, elle se pose comme un cours de cinéma à destination des jeunes réalisateurs/scénaristes en herbe.
Passé cette première demi heure passionnante, THX 1138 déchante et cabotine : entre une séquence beaucoup trop longue et grotesque d'emprisonnement (pourtant très bien mise en scène) et sa course-poursuite finale au rythme défaillant, on regrette finalement la réflexion fine et bien amenée de la première partie, disparue derrière des tonnes d'éclairages et d'effets spéciaux 3D jurant horriblement avec les moyens de l'époque.
Ne critiquons pas Lucas pour ses remaster; c'est son oeuvre, il en fait ce qu'il veut. Questionnons-nous plutôt sur l'utilité de filmer, à l'époque, une scène de course-poursuite si l'on est incapable de la rendre énergique, intéressante, passionnante. On se rend alors compte que le point culminant de l'intrigue ne tiendra aucunement dans cette séquence d'action mal fichue, mais bel et bien dans ce plan final absolument magnifique emporté par l'envolée sublime de la musique de Lalo Schifrin, qui n'avait déjà plus rien à prouver.
C'est à ce moment qu'on comprend qu'on est passé à côté de l'un des plus grands films de science-fiction de sa génération : thématiquement très riche (cette société perdue dans sa propre modernité rappelle forcément les problématiques de notre temps), il se perd au bout d'une demi-heure et patine une heure entière, à expérimenter un visuel qui n'a plus d'autre histoire à raconter que celle de quelques hommes perdus dans une époque qu'ils ne comprennent plus, avec un Donald Pleasence en surjeu total, rendu insupportable par le comportement caricatural de son personnage.
S'il sert à poser l'ambiance étrange de ce passage aux plans expérimentaux très intéressants, il met en exergue les éléments dérangeants de ce premier long-métrage : jamais trop sûr de comment poser son rythme, Lucas opte pour une mise en scène presque uniquement composée de plans fixes bien composés mais handicapant par nature pour qui veut poser autre chose à l'écran qu'une personnalité contemplative et oppressante (particulièrement lors des scènes de course, tant à pied qu'en voiture).
Il n'y a que grâce aux policiers (des T1000 avant l'heure) et au comportement de cette société sans saveur qu'il parviendra à mettre mal à l'aise; le reste, trop démonstratif pour intéresser dans la durée, donne l'impression de voir un projet de fin d'étude principalement fait pour prouver les capacités formelles de son réalisateur/co-scénariste, de toute évidence plus compétent en ce qui concerne la composition de ses plans que pour le développement de son intrigue et de ses thématiques.
Culte dans le sens où il aura posé une nouvelle esthétique dans un genre nécessitant à l'époque besoin un grand renouveau (le très bon Soleil Vert terminera d'achever un public déjà bouleversé par l'apéritif La Planète des Singes), THX 1138 mérite son statut d'oeuvre culte pour ce qu'il aura apporté au cinéma, des thématiques nouvelles flanquées d'un paradoxe comptant parmi les plus importants du nouvel Hollywood : comment un réalisateur à ce point expérimental et inventif aura pu devenir en si peu de temps l'artiste à l'origine d'une saga aussi formatée et lisse que Star Wars (que j'adore cependant), et le business man milliardaire qu'on connaît à présent?
A l'image de son premier film, George Lucas demeure, aujourd'hui encore, une figure emblématique du Nouvel Hollywood qui fait autant débat que ce qu'il reste mystérieux, unique, fascinant. N'est-ce pas après tout la marque des grands artistes que de déchaîner autant les foules? Elle est la même que celle des grands films : entre l'intouchable et le critiqué, on les retiendra surtout comme des pièces motrices du cinéma qu'ont connaît aujourd'hui.
Une pièce d'histoire.