La fluidité poétique transcende l'image, le récit de Mark Romanek est délicat et les courbes de l'histoire idéales. Dans une réalité déformée de la fin du XXème siècle, où les clones sont élevés en parcimonie, destinés à donner leurs organes vitaux aux originaux, rallongeant l'espérance de l'humanité de deux décennies, Mark Romanek pose sa caméra, entre questionnements sur la vie et intimités amoureuses. Un The Island intelligent, aux fondements artistiques infiniment plus développés, aux personnages infiniment plus touchants et à la réussite infiniment supérieure (artistique, pas commerciale, bien entendu...). Cette jeunesse éternelle, insouciante, qui se dégage du début du film, vouée à être brisée prématurément, soude les liens qu'entretient le spectateur avec les personnages. Et autant le dire tout de suite, le trio qui prend vie sous nos yeux, autant les enfants que les jeunes adultes, est d'une incroyable justesse. Rarement un film n'aura bénéficié d'un casting aussi parfait ; il est bien difficile d'obtenir d'acteurs enfants des prestations aussi marquantes. Les liens amoureux, les inquiétudes individuelles, les doutes perpétuels, ils arrivent à transmettre tout cela avec une sincérité étonnante.
En plus d'une photographie sensible, aux teintes orangées, comme si tout le film se déroulait sous un coucher de soleil, nous avons des acteurs qui passent les émotions avec brio, au point de nous accrocher à leur histoire du début à la fin, en nous faisant planer dans cette fausse réalité, dans ce rêve palpable. Le montage est aussi d'une justesse absolue, il n'y a aucun faux pas dans l'expression artistique du film, aucune fausse note dans ces images et ces sons, rien d'autre qu'une évolution sur plusieurs années qui nous laisse pantois d'admiration. Et bien que l'histoire soit en elle-même tragique, pour la perte qu'elle engendre : la mort prématurée, l'amour impossible ; elle a aussi des côtés merveilleux, apaisants, qui sont transmis par ces visages purs, qui, loin de nous plonger dans une inquiétude constante quant à la mort, nous plonge dans un nuage de douceurs et d'apaisements. Carey Mulligan en premier plan, qui transmet toute la vulnérabilité des clones, toute leur ignorance, en restant profondément rassurante, grâce à son faciès et à son caractère, comme une lumière salvatrice. Jamais des clones n'auront paru aussi humains, et tout le rapport à l'art, à l'âme, tel qu'il est présenté dans le film, est fait pour rendre à ces personnages une humanité qui parait presque supérieure à la nôtre.
La romance mélangée à la science-fiction donne lieu à un ensemble qui puise tant dans l'interrogation philosophique que dans l'introspection continuelle, et c'est ce qui rend le film majeur, immanquable et unique, car il joue sur plusieurs thèmes avec une exemplarité bluffante, sans faux pas, sans exagérations, sans mièvrerie. Tout est juste, tout simplement, si juste que du début à la fin nous avons l'impression de parcourir un long poème, qui contraste entre le sublime et l'horrible. Le rapport aux originaux, c'est-à-dire aux vrais êtres humains, perçus comme des étrangers, est aussi très réussi, et la fin se dévoile presque comme une leçon de vie : ce qui compte ce n'est pas la date de notre mort, mais ce que l'on fait du temps qui nous est imparti ; que l'on vive trente ou cent ans, c'est la même chose.
L'institut Haslhaim, berceau de mystères et figure centrale de la première partie nous fascine autant que la suite, c'est toute la logique de l'histoire, de son commencement à son issue, qui est liée avec cohérence. Et la nostalgie de l'enfance passée, de l'amour oublié, se révèle marquante en tout point de vue, dans ce dernier regard vers l'horizon, à la recherche d'un rêve perdu. Plus qu'une adaptation réussie, Never let me go est un film qui marque de son empreinte un cinéma relativement rare. Il se révèle donc comme une figure incontournable de la dernière décennie cinématographique, sans aucun doute.