"Votre prostate est asymétrique". En plein New-York, Eric Packer, vingt-huit ans, golden-boy de la haute finance, s'engouffre dans sa limousine avec la ferme intention d'aller chez le coiffeur. On peut dire que le moment est mal choisi : la visite du président et l'enterrement d'une star du rap rendent la circulation abominable au coeur de la Grosse Pomme, sans oublier la menace sérieuse qui pèse sur la vie d'Eric Packer, risquant sa vie en s'aventurant dans les embouteillages. Ah, ce fameux "Cosmopolis", globalement très apprécié par la critique, généralement démonté par les spectateurs, exactement le genre de trucs qu'on a envie de regarder ne serait-ce que pour savoir dans quel camp on va se situer. En ce qui me concerne, la réponse ne s'est pas fait attendre : "Cosmopolis" est une réussite, et non des moindres. Bien sûr, ce dernier Cronenberg a de quoi dérouter : le fil conducteur, qui tient du pur thriller, est souvent écarté au profit de conversations interminables et parfois incompréhensibles, habitant des séquences s'enchaînant sans logique apparente dans un cadre quasi-unique, à savoir une limousine high-tech avançant à grand-peine dans la ville bondée. Détracteurs, vous ne savez pas ce que vous ratez. Chaque dialogue est un bijou d'écriture : cyniques et décalés, ils sont la parfaite illustration de la déshumanition et de la soif d'argent qui caractérisent ces hauts financiers que l'on voit défiler dans l'arrogante limousine d'Eric Packer. Néanmoins le film a l'intelligence de fuir tout manichéisme, car l'"autre côté" en prend pour son grade également : les émeutiers semblent tout aussi animaux que les rats qu'ils s'obstinent à brandir et à balancer, et la scène jubilatoire de l'"entartage", avec Mathieu Amalric, constitue une critique féroce de l'anticapitalisme irréfléchi. A cela s'ajoute, irréprochable, la réalisation hypnotique et paranoïaque de David Cronenberg, dans laquelle la tension se fait grandissante à mesure que le "héros" chute moralement, jusqu'à un climax magistral à l'issue agréablement frustrante. Ainsi, il serait simpliste de limiter le film à son statut de "critique". Car c'est aussi le portrait subtil d'un homme "éteint", désespérément en quête d'adrénaline, rongé par la lassitude et la soif de liberté. Robert Pattinson, remplaçant un Colin Farrell indisponible (acteur formidable qui n'aurait certainement pas démérité), incarne ce personnage dans ses moindres nuances. Qui aurait cru le bellâtre de "Twilight" capable d'endosser à merveille un rôle aussi complexe ? Pourtant, c'est un fait : sa performance, qui restera à coup sûr dans les mémoires, mériterait bien une statuette. Après avoir vu "Cosmopolis", on n'a qu'une seule envie : retrouver Pattinson en mode "glacial, déprimé et dément" pour incarner le mythique Patrick Bateman dans une nouvelle adaptation de "American Psycho" qui serait scénarisée et mise en scène par... David Cronenberg. Quel fantasme ! Satire cruelle et cynique du capitalisme, odyssée burlesque et thriller paranoïaque, ce road-movie urbain à l'atmosphère tantôt classieuse tantôt crasseuse trouble autant qu'il fascine. Du grand cinéma !