C’est un colossal festival d’effets de mise en scène et de montage bien sûr. La sublime grammaire scorsesienne habituelle. Tout y passe, ralentis, voix off, musiques, c’est une symphonie de mise en scène excitante et maîtrisée. On pourrait en tirer un manuel complet à l’intention de cinéastes à court d’idées…
Le film est partiellement structuré par une voix off qui se place à la fin de l’histoire (ou presque…), quand Sam Rothstein explose dans sa voiture et se remémore son parcours à Las Vegas qui l’a amené à ce résultat. Il y a donc une forme méditative, mémorielle, auto-réflexive, tragique, à cette narration, qui se déroule par essence au passé, un peu comme dans ‘The Irishman’.
Ce dispositif élaboré est appliqué à des personnages de mafieux évidemment violents, brutaux, vulgaires. Comme dans ‘Goodfellas’, c’est la partie parfois difficile avec certains films de Scorsese, on doit passer deux ou trois heures avec des personnages extrêmement désagréables, prétentieux et dangereux.
Devant le spectacle de Nicky Santoro tabassant quelqu’un, le dégoût de Sam Rothstein est visible, même s'il fait partie de ce monde. Nicky, les yeux dans le vague derrière un écran de fumée, se dégoûte sans doute lui-même un peu, mais c’est sa nature.
La critique morale des personnages est intégrée organiquement au film même par leur échec profond, personnel et professionnel.
Le générique créé par Saul Bass, peut-être le meilleur de l’histoire du cinéma, illustre la Chute comme le cadre moral du film, sur la sublime Passion de Saint-Mathieu de J.S. Bach. Plus tard, un plan aérien sur la voiture de Nicky Santoro roulant dans le désert sur le Thème de Camille de Georges Delerue (tiré de ‘Le Mépris’) sur lequel se superpose ensuite une batterie furieuse définit parfaitement le projet esthétique et moral de Scorsese. On est là au coeur du désir scorsesien de mêler au plus haut point de fusion le sublime et l’abject, le sacré et le profane.