Après l’échec commercial du Temps de l’innocence, Martin Scorsese retourne à l’univers qui lui avait tant réussi avec Les Affranchis, à savoir celui des grands gangsters. S’il a beaucoup de points communs avec ce dernier film, Casino possède une certaine originalité de part le lieu de son action : Las Vegas.
Ainsi, Scorsese nous offre une véritable plongée dans la "Ville du Péché" à une époque où celle-ci était entièrement dirigée par la Mafia. Fasciné par son sujet, le réalisateur n’hésite pas à décrire pendant une vingtaine de minutes le fonctionnement de cet environnement et les différentes astuces des casinos pour gagner toujours plus d’argent. Il réussit l’exploit de rendre cela passionnant alors que toute cette partie est essentiellement narrée en voix-off. Il faut dire qu’avec ce film, le cinéaste utilise tous les moyens cinématographiques les plus osés qui sont à sa disposition : histoire narrée par de multiples voix-off (dont celle d’un mort), arrêts sur image, ralentis, raccords dans l’axe faits en fondus enchaînés, fermeture à l’iris, raccords entre les plans faits avec des flashs (technique déjà utilisée dans Raging Bull), fondus enchaînés à l’intérieur d’un même plan pour le raccourcir… Scorsese fait preuve d’une véritable maestria en totale accord avec son décor croulant sous le luxe.
De plus, il faut souligner qu’il arrive parfaitement à mêler sa description du gangstérisme et de cette ville fondée sur ces activités illégales avec les problèmes conjugaux de Sam et Ginger.
En effet, plus le film avance, plus ce qui semblait n’être qu’un simple arrière-plan dans la première heure prend une plus grande place au point d’avoir une influence directe sur les "affaires" et contribuera à la déchéance du personnage principal.
Cette réussite dans les relations entre les personnages est due à une interprétation exemplaire. Si des comédiens comme Robert De Niro, Joe Pesci ou Frank Vincent retrouve avec un égal brio des personnages proches de ceux qu’ils interprétaient dans Les Affranchis (même si celui de Pesci est un peu plus raisonné que dans ce dernier et celui de De Niro plus affecté par sa vie personnelle), c’est Sharon Stone qui étonne le spectateur. Elle y trouve ainsi son meilleur rôle avec celui de Basic Instinct et prouve tout l’étendue de son talent de comédienne. Celle qui est souvent réduite à son statut de sex symbol acquis avec le film de Paul Verhoeven fait passer son personnage par différents stades
(séductrice manipulatrice, femme en pleine crise conjugale, junkie…)
avec une qualité de jeu assez exceptionnelle. On notera également la présence de James Woods
dans la peau d’un personnage qui poussera encore plus Ginger dans sa descente aux enfers
.
Tous ces aspects réussiraient à faire de Casino un grand film. Mais Scorsese ne s’arrête pas à cela. En effet, il l'accompagne d’une bande originale assez exceptionnelle en conservant son habitude récurrente d’utiliser de la musique préexistante. Quasiment l’intégralité du métrage est baignée par des tubes allant de l’opéra (La Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach) au rock en passant par le jazz, le blues, la variété ou la musique de film (le Thème de Camille tiré du Mépris de Jean-Luc Godard). On peut même estimer que Casino possède la meilleure bande originale parmi les films du cinéaste utilisant ce principe.
Enfin, il serait injuste d’oublier l’extraordinaire générique d’ouverture signé par Elaine et Saul Bass (qui signent là leur dernier travail) qui renforce la puissance d’un début qui surprend son spectateur tout en l’introduisant aux thématiques du film dès les premières secondes.
Devant une telle qualité, il est difficile de faire la fine bouche face à cette œuvre-miroir des Affranchis car elle constitue un des meilleurs films de son réalisateur et un long-métrage réellement grandiose réussissant à mélanger aspect documentaire, film de gangster et drame conjugal. Une pure merveille.