The Irishman ressemble à l'oeuvre ultime d'un réalisateur au sommet de son art, son oeuvre testamentaire.
Au sommet de son art est souvent une expression éculée mais ici Scorsese ne cherche à rien démontrer de son talent, il ne cherche à faire étalage de rien, surtout pas de ses qualités, mais il les utilise toutes au profit de son cinéma. Et ce n'est pas pour autant qu'il s'engonce dans ses vieilles recettes, toujours ouvert aux nouvelles possibilités, comme ce rajeunissement ou vieillissement numérique utilisé sur ses personnages (on pouvait être sceptique mais c'est, en général, assez réussi).
Mais l'important n'est pas là. Scorsese donne l'impression de boucler une oeuvre complète. Son oeuvre. The Irishman semble être la pièce ultime, manquante, d'un grand puzzle débuté il y a plus de 30 ans avec des oeuvres aussi géniales et marquantes que The Goodfellas ou Casino. Dans la première partie (les 2 premières heures) d'un film tentaculaire mais incroyablement cohérent, rythmé et drôle, Scorsese reprend les codes de ses films d'antan, sur la pègre italienne de New-York et d'ailleurs, avec le parcours initiatique d'un jeune irlandais et la voix off omniprésente, il reprend le fil de ses anciens films, quelque peu admiratifs de ces gansters charismatiques, de ces familles recomposées, dans cette Amérique aujourd'hui disparue. Et puis, là où la plupart des réalisateurs auraitent lancé le générique de fin, tout bascule. Scorsese bouscule et livre une seconde partie d'une virtuosité sans esbrouffe, contenue, haletante et puissante, le portrait glaçant d'un milieu, d'hommes qu'il avait peut-être, alors qu'il était gosse dans Little Italy, admirés. Ici, la monstruosité et l'animalité des hommes se révèle mais Scorsese ne s'en contente pas et il livre une oeuvre puissante et mélancolique sur le temps qui passe, la mort, l'amitié, la famille. Cela ressemble à s'y méprendre à l'oeuvre testamentaire d'un homme plein de regrets, plein de remords, effrayé par la longue nuit qui s'annonce.
Pendant 3h30 d'une oeuvre complexe et cohérente (on pouvait avoir des doutes vu la durée), puissante et riche, drôle, joviale et mélancolique, rythmée et dépouillée, Scorsese livre peut-être son film le plus complet, le plus beau, le plus effrayé et le plus fort. Un testament. Reverra-t-on jamais un film de Martin Scorsese de cette trempe ? Je ne sais pas. Il a déjà tant donné. Je l'espère. Le monde en a besoin. Mais je ne sais pas. Et au fond, ce n'est pas grave, car il a déjà livré son testament.
Et offert à Pesci, De Niro et Al Pacino la scène pour démontrer que le talent ne veillit jamais.