Véritable bouffée créative dans le cercle des œuvres à destination des plus jeunes, Babe cuvée 1995 change la ruralité dans laquelle il se déploie en espace polarisé par le merveilleux et la cruauté d’une existence animale menacée, constamment placée sur la sellette par l’homme carnivore. C’est reconnaître que le ton adopté par le métrage dissone, saute avec allégresse du burlesque le plus savoureux à la violence sourde sans qu’une quelconque censure mielleuse n’intervienne. Ainsi, un mouton est égorgé par un chien errant (appelé « loup ») ; ainsi, notre petit cochon est soupçonné du meurtre parce qu’il a son groin moucheté de sang. Nous retrouvons, derrière ce récit d’émancipation, le regard d’un cinéaste ici crédité en tant que producteur, George Miller, sur l’être exclu d’une communauté : un bébé pingouin dans Happy Feet, un policier soucieux de faire respecter la loi dans une société viciée par le crime avec Mad Max, un petit cochon qui veut devenir berger. Au royaume des exclus, le cochon est roi, lui qui n’a d’utilité que pour la viande qu’il fournit. Et pourtant, l’apprentissage du potentiel extraordinaire enfoui au plus profond de chacun prouve que la jeunesse comme le monde adulte ne doivent jamais cesser de croire en l’autre qui, derrière l’apparence d’un infirme, possède souvent en son sein un trésor caché. Porté par une musique, à la fois féerique et truffée de petits motifs burlesques, de Nigel Westlake, ce conte bénéficie en outre d’une réalisation remarquable où les effets spéciaux impressionnent par leur qualité – ils ont d’ailleurs été récompensés par un Oscar – et la composition des plans divinement inspirée. Une énergie intrépide régit la structure de Babe et un soin particulier apporté à la rythmique de montage confère à chaque scène une puissance cinématographique décuplée. N’ayons pas peur des mots et reconnaissons au film de Chris Noonan et George Miller qui, au fil des années, n’a rien perdu de sa superbe, le statut de chef-d’œuvre.