"Suspiria" est le remake du film d'horreur de Dario Argento, sorti en 1977. Totalement déstabilisant et chargé d'une atmosphère anxiogène rare, il s'est mis à dos bon nombre de critiques qui l'ont qualifié d'absurde et de gratuitement sanglant. Pour ma part, "Suspiria" est le reflet d'une énigme complexe et sinueuse, effrayant et imperceptiblement lisible à l'instar de grands classiques comme "Rosemary's Baby", "Shinning" ou plus récemment "The VVitch" ou "Hérédité"... Je l'ai vu individuellement de l'orignal, mon avis ne part donc pas d'un point de comparaison.
L'histoire se déroule dans une compagnie de danse dans un Berlin des années 70. Une jeune américaine souhaite l'intégrer et passe le concours avec succès. Elle va y découvrir une élite d'artistes féministes, solidaires et affamées de l'enseignement si spéciale Madame Blanc. Non loin d'ici, un psychologue reçoit une ancienne membre qui s'est échappée de la compagnie ; apparement folle et traumatisée par un mal qui la ronge de l'intérieur...
Rares sont les films qui m'ont mis mal à l'aise comme l'a pu faire "Suspiria" avec son atmosphère anxiogène à souhait. Ici, Luca Guidagnino est créateur de cauchemars, de monstres et de malédictions et son "Suspiria" a tout pour intriguer. Bien qu'il reprenne une mythologie créé par Dario Argento autour de trois Mères maléfiques, trois sorcières qui veulent faire régner le chaos sur la Terre, le geste artistique du réalisateur est radical. En effet, il réadapte le cadre spatio-temporel, en déplaçant l'action en 1977 dans une capitale allemande encore cicatrisée par son Mur, marquée par le terrorisme de la bande à Baader. Le local de cette compagnie de danse devient alors un refuge froid, dominé par un groupes de femmes austères et silencieuses, mettant les cours de danse de Madame Blanc sur un véritable piédestal. Tout tourne autour du pouvoir qu'elle transmet à ses jeunes danseuses, à cette danse qui doit être accomplie à la perfection le jour de sa représentation en public.
Bien que le thème de la sorcellerie devienne vite évident, le scénario n'a de cesse de nous questionner tout en nous mettant dans une position de profond malaise. C'est typiquement le genre de film qui mérite plusieurs visionnage pour recoller les morceaux entre eux car les intrigues se multiplient sans se résoudre. C'est une mosaïque obsédante, un labyrinthe d'images et de nuances qui n'a rien de limpide et d'agréable. Seules les scènes de danse donnent du souffle, et encore, les mouvements sont très terriens et parfois étouffants. Elles en deviennent captivantes par leur longueur et revêtent des vrais allures de rituels sataniques, notamment avec la musique très pesante de Thom Yorke qui fait de ce huis-clos un vrai cauchemar sans fin ! C'est vrai que le final, trop sanglant et démonstratif, saccage gratuitement les subtilités qui ont précédés mais son esthétique presque expérimentale achève ce mythe en nous déroutant encore plus.
On a pas affaire à un film d'horreur classique qui va se contenter de nous faire sursauter mais plutôt à une ambiance macabre et dérangeante, loin de toute forme connue. Parfois, on est si écoeuré qu'on détourne le regard de l'écran, c'est dire l'extrémisme inattendu dont fait preuve "Suspiria". La folie, qui aurait pu être risible, se veut glaçante et se répand même dans les mouvements de caméra incontrôlables et dans une esthétique poussive, connotée et gore. Côté actrice, on est une nouvelle fois épatée par Tilda Swinton qui se fond dans trois rôles méconnaissables et totalement hypnotisé par la dévotion pure de Dakota Johnson à la vertu du mouvement dansé. C'est une oeuvre déconcertante qui pousse tous ses composants à empreinter une voie atypique, viscérale, cauchemardesque. Du cinéma rare, traumatique et inspirant !