Un film qui ne laisse pas indemne, et qui aurait pu confiner au chef d’œuvre, s’il n’y avait pas eu ces énormes erreurs au montage, cassant arbitrairement le rythme et le déroulement même du scénario. Mais peu importe, il y a de telles scènes hypnotiques où se mêle et s’entremêle terreur et fascination : la définition du sacré selon Otto (fascinans tremendum, mysterium tremendum), c’est ce à quoi parvient de manière inouïe et stupéfiante ce réalisateur dans certaines scènes orgiaques, au-delà du réel, où les limites de la raison humaine et de la perception sont poussées et mises à l’épreuve. On peut penser aussi à Bataille, à tous ces penseurs mystiques de l’excès, de la profanation de la transgression et de la transcendance. Une fois de plus peu importe la vanité des références (comme celle explicite à Lacan justement), mais il y a de très belle définition de la vanité dans certains dialogues de ce film ! La continuité avec le film d’ Argento est aussi parfaitement maitrisée , avec une étrange finesse, le réalisateur parvient à nous plonger dans cette atmosphère étrange et oppressante du film d’Argento, mais son film tout en s’en inspirant garde sa spécificité propre, sa singularité tout en rendant un hommage permanent (jamais pesant, jamais de l’ordre du plagiat) à l’œuvre originaire ,son propre travail sur la couleur, les sons : la musique évidemment mais surtout les chuchotements omni présents (mother suspiriorum) mais aussi les rires obsédants de ses sorcières . Il y a donc une véritable filiation parfaitement maitrisée par Luca Guadagnino. Mother suspiriorum, La sorcière mère, par exemple est une réplique de la sorcière mère du film d’Argento, mais que l’on n’entrevoyait qu’au moment du meurtre, et dévoilée par les éclairs de l’orage mais elle ne mourra pas justement, tuée par la danseuse américaine dont le destin devient tout autre. La filiation est encore plus accentuée dans la scène du couloir (qui est un moment d’apothéose à la fois d’angoisse jusqu’à la délivrance finale dans le film d’Argento) lorsqu’elle découvre les passages secrets, ce qui ne peut qu’irrémédiablement nous faire penser aussi à ce chef d’œuvre du cinéma d’épouvante de Roman Polanski : Rose mary baby .On y retrouve admirablement cette même tension, les chuchotements angoissants (les messes basses) derrière les cloisons, la contre-enquête rationnelle menée par le psychiatre, cette construction typique des films d’épouvante des années 70, que Luca Guadagnino a su respecter et faire revivre en lui imprimant sa tonalité propre, grâce notamment à une tournure «scénario-stique » originale, » puisque le mal gagne , et que la danseuse américaine est une sorcière elle-même dès son origine comme l’avait pressentie sa mère, (voir à ce sujets les précieuses explications d’Anna Li sur son blog. Merci beaucoup Anna Li ! ) ce qui laisse présager évidement un second opus .