Il n’y avait qu’Alain Resnais pour échafauder cette rencontre apparemment improbable entre l’excentrique Marguerite Muir et le curieux Georges Palet, autour d’un incident en somme tout à fait banal.
Mademoiselle Marguerite Muir, dentiste/aviatrice, se fait voler son sac alors qu’elle vient d’acheter une superbe paire d’escarpins. Dans cette première séquence - qui suit une ouverture ô combien référencé à « Hiroshima mon amour » - Resnais joue les fétichistes autour du corps de sa compagne à la ville Sabine Azéma, refusant de dévoiler intégralement, seulement par morceaux - à la manière d’Hitchcock (« Marnie », « Strangers on a train »), sa muse dont il a fait une fois encore une inoubliable héroïne.
Georges Palet, homme au passé trouble et marié depuis trente ans, trouve dans un parking le portefeuille de Melle Muir, à qui il va rendre son bien.
Dans la vraie vie, l’incident n’aurait pas donné suite, mais chez Resnais, c’est ici que se déclenche un concours de circonstances loufoque qui entraînera les personnages et le spectateur réjoui dans un univers baigné de folie douce, teinté de quelques touches d’onirisme, de romantisme (aux couleurs lumineuses doucement bariolées, façon spots - un peu pop, que l’on doit au directeur de la photo de génie Eric Gautier)… jusqu’à un final qui célèbre à juste titre l’irrationnel ambiant de l’œuvre entière (« Maman, quand je serais un chat, je pourrais manger des croquettes ? »).
Resnais dépeint des personnages dignes du théâtre de boulevard sujets au(x) désir(s), autour desquels végètent des personnages de second plan auxquels il manque ce petit grain de folie, d’irrationnel pour briller (Suzanne Palet, la femme de Georges, Bernard de Bordeaux, le policier, Josépha, l’amie et collègue de Marguerite). En se laissant devenir ces êtres fous d’amour et de désir, ils vont rompre avec la monotonie de leur existence, arrêter de garder les pieds sur terre, et à l’issue de leur rencontre tant attendue, léviter dans l’air : Georges à reculons, yeux fermés, à la sortie de son cinéma, Marguerite, à tâtons, basculant sur son rocking chair et caressant du bout des doigts de pieds son tapis coloré.
A 87 ans, Resnais n’a jamais savouré avec autant d’irrévérence sa jeunesse. Verdoyantes, vivifiantes, ses herbes folles sont un bonheur pour les yeux, le corps et le cœur. Cette fable fantasque s’inscrit ainsi dans la continuité de l’œuvre du réalisateur, après le joyeusement bordélique « La vie est un roman », le très spontané « On connaît la chanson », le mélancolique et hivernal « Cœurs »… Et comme vous le dirait si bien Edouard Baer (narrateur merveilleux de cette histoire) dans la bande annonce : « Allez le voir. S’il te plaît. »