Gazon béni.
J'avais un peu peur, après Coeurs qui m'avait beaucoup déçu. Surtout que les vieux en ce moment ne font pas leur meilleur cinéma ( quoi, qui a dit Eastwood ? ). Me voilà finalement rassuré. Les Herbes Folles est un film très spécial, un concentré d'absurde à la remarquable maîtrise formelle. Le dernier film de Resnais est un objet insolite, qui déroule sa logique pas si logique pendant près de 2 heures, jouant sans cesse avec le spectateur pour le surprendre comme il est peu surpris au cinéma. Tout commence avec un vol à l'arraché, et la découverte du portefeuille de la victime par André Dussolier, formidable " d'étrangeté ordinaire ". La première convention que tord Les Herbes Folles, c'est que la rencontre entre les deux personnages concernés, qu'on aurait vue dans n'importe quel film, n'a pas lieu. En tout cas pas immédiatement. Le scénario ne se précipite pas sur les clichés, il laisse les personnages évoluer dans leur logique interne, et sait attendre le bon moment pour provoquer les choses.
Au début du film, la caméra de Resnais filme quelques brins d'herbe que le macadam emprisonne. C'est ça Les Herbes Folles, la coexistence de deux ou plusieurs mondes antagoniques qui donne une saveur si particulière au film. La dualité prend tout l'espace : Azéma et Dussolier se détestent, le fantasme occupe l'écran aux côtés de la réalité, et les flics bossent dans des commissariats aux allures oniriques ( enlevez Amalric et ses collègues, personne ne peut dire qu'il s'agit d'un poste de police ). C'est que Les Herbes Folles est habité par une lumière tellement splendide qu'elle confère au film une espèce d'irréalité qui rappelle sans cesse que ça n'est que du cinéma. Resnais va même plus loin dans la mise en abyme en filmant en gros plan les lettres rouges qui composent justement le mot cinéma, en utilisant la musique si célèbre de la Fox, et surtout, en bouclant " pour de faux " son film en faisant apparaître le mot Fin à l'écran. Sans cesse, le cinéaste rappelle le côté fictif de ce que nous voyons.
Pour autant Les Herbes Folles n'est pas qu'irréalité, fantasme ou rêve. Le film poursuit son entreprise de dualité en parlant - certes de manière légère et agréable - de choses importantes, en particulier l'amour ( il n'y a même que ça dans le film, les autres thèmes découlent du premier ). Cette capacité inouïe qu'a Resnais de s'emparer d'un sujet banal au possible, tellement difficile à aborder au cinéma, et à le considérer sous un angle aussi décalé qui est le sien confère à l'oeuvre une aura poétique d'une force incomparable. Le contraste entre un fond ordinaire et une forme extraordinaire donne toute sa saveur au film, cette étrangeté ordinaire qui caractérise tant le personnage de Dussolier.
La grande satisfaction du film c'est surtout sa forme. Resnais - 87 balais ! - fait preuve d'une audace insensée, d'une inventivité de tous les instants qui envoie la concurrence au tapis ( concurrence, façon de parler bien sûr ). Chaque séquence est la promesse d'une idée, d'un éclat de génie que le spectateur guette avec impatience. Resnais semble tout oser, et surtout ce qu'il ose il le réussit. Coeurs avait l'apparence d'un superbe objet qui sonnait creux, un film bien fait mais trop bien fait justement. Il manquait à Coeurs une âme qui inspire chaque minute des Herbes Folles.
Un mot sur l'humour du film, d'un absurde absolument jouissif. C'est tellement barré qu'on a l'impression que les auteurs en ont aussi abusé, de ces herbes folles. Et puis les acteurs sont tous magnifiques, en particulier le duo principal qui surprend toujours autant alors qu'on les connaît depuis tant d'années et que leur registre n'évolue pas véritablement ( surtout Azéma, on a l'impression qu'elle a souvent le même rôle, mais elle s'en sort d'une manière remarquable à chaque fois ).
Je pense à un titre original d'un film de Kazan, et ne peux que constater que sa splendeur a contaminé ces herbes-là.