"[Rec]" a été réalisé en 2007, avant la sortie de "Cloverfield". Les hasards de la distibution en France ont amené à ce que cet ordre soit inversé, et c'est peu dire que la vision au travers d'un camescope du lézard terroriste a défloré la surprise de cette version gore et catalane de "Panic Room". Même parti pris de filmer toute l'action au travers d'un camescope : celui passant de mains en mains pour faire un souvenir avant le départ au Japon de Rob, ou celui de Manu filmant Angela pour l'émission Pendant que vous dormez.
On retrouve donc les mêmes jeux sur l'utilisation du camescope : rembobinage, panne de torche, mise au point approximative et mouvements épileptiques, image verdâtre de la visée nocturne. Mais dans "Cloverfield", ces jeux ont davantage été déclinés, à l'image de la cassette elle-même identifiée au film, permettant les flash-backs et l'émotion de la réapparition de scènes au gré des surimpressions de la bande magnétique. Dans "[Rec]", ce que nous voyons n'est donc pas vraiment la cassette, mais ce que Manu pourrait voir dans son oeilleton, puisque quand il rembobine, on voit cette opération se dérouler.
Détail, direz-vous. Pas si sûr, puisque cette différence illustre ce qui fait pour moi la supériorité de "Cloverfield" : pousser l'exercice de style jusqu'au bout, et inscrire les différentes possibilités techniques offertes par le camescope dans le scénario lui-même, et d'autre part jouer du décalage entre le support sommaire et la sophistication des effets spéciaux : Godzilla de 70 m, destruction partielle de Manhattan et tête de la Statue de la Liberté balancée comme une boule de bowling. Dans "[Rec]", au-delà de la capatation vidéo, ce qui est inscrit dans le cadre, même tressautant, est bien classique et représentatif du gore cheap : mémé rondelette en nuissette ensanglantée, morts-vivants zombifiés et gamine de 6 ans cannibale (ce qui vaut une des scènes d'attaque les plus réjouissante depuis le cultissime "Le Monstre est vivant" de Larry Cohen, où un nourrisson mi-crabe mi-vampire à peine mis au monde dévastait la salle d'accouchement).
La volonté de dénoncer les manipulations de la télé-vérité ou la modification des comportements dès qu'une caméra apparaît est louable, et certaines scènes touchent juste, comme quand les habitants séquestrés par décision d'état prennent à témoin la caméra. Plus laborieux, et même carrément ratées sont les portraits des locataires lors des interviews, notamment ceux de l'asiatique et de la vieille tante raciste.
Mais surtout, malgré (ou à cause) de laborieuses explications sur l'origine vaticano-scientifico-vétérinaire de la mutation meurtière, l'histoire fait vite du surplace, emprisonnée comme les infortunés habitants dans ce huis clos étouffant, et si nous explorons les différents étages de cet immeuble barcelonais aussi consciencieusement que Perec dans "La Vie Mode d'Emploi", ils offrent malheureusement beaucoup moins de surprise et de diversité que celui du 11 rue Simon-Crubellier.
"Vous verrez aussi ce que personne n'a encore jamais vu", promettait Angela au début de son reportage dans la caserne des pompiers. Dommage que Paco Plaza et Jaume Balaguero n'aient pas su être à la hauteur de cette promesse, et nous cacher derrière les portes de bois massif des appartements autre chose que ces zombies sanguinolents mille fois déjà vus.
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