« On n’amène pas des saucisses quand on va à Francfort. »
Avec des dialogues d’Audiard (en caméo photo de suspects à la 18ème minute), il n’est pas utile, faute de place, d’accumuler les tirades de cette œuvre, dont certaines sont culte.
Démarrant sur l’exceptionnel « Requiem pour un con » de Gainsbourg (en guest à la 52ème), en raccord millimétré au générique, le film maintient la cadence rythmée et incantatoire pendant près de 10 minutes, durant lesquelles s’égrènent les images de Lautner, virtuose. Le thème reviendra tout au long de la réalisation pour redonner du punch dans un rythme parfait, secondé par la musique de Michel Colombier, collaborateur de Pierre Henry (Messe pour le temps présent) et de Gainsbourg.
Au niveau, précisément, de la réalisation, notons le réalisme apporté par la caméra à l’épaule, révolutionnaire pour l’époque (classique aujourd’hui), en plus des caméras au sol et des champs-contrechamps (avec miroirs parfois) chers à Lautner. Moderne, ce Pacha l’est résolument. Même si les décors et les costumes sont bien d’époque (Zitrone annonçant l’arrivée du tiercé sur la télé en noir et blanc aussi), la façon de traiter le sujet, mêlant humour noir et décalé et violence crue, voire cynique, ne ferait pas tâche aujourd’hui (que l’on pense aux films de Quentin Tarantino, notamment Reservoir Dogs, ou Guy Ritchie, Wrath of man, par exemple). C’est d’ailleurs ce qui marque le plus ce film et qui a choqué la censure à sa sortie, sans oublier la scène érotico-esthétisante du bar « Hippies » (entre fascination corporelle et cynisme réac, on reconnaît bien la patte d’Audiard, là aussi). C’est dans cette scène qu’on retrouve Dany Carrel, déjà présente dans Un Idiot à Paris, déjà scénarisé par Audiard.
On pourrait regretter que Gabin fasse du Gabin, qu’Audiard fasse du Audiard, mais l’auto-caricature ne fait-elle pas partie du charme tant que ça tient la route ? D’autant que ce film, avec les élans musicaux de Gainsbourg, la présentation du poste de police façon open-space avec des ordinateurs et l’inventivité moderne de la caméra de Lautner, est aussi une fabuleuse fresque sociale, pas toujours objective, sans doute, mais néanmoins propre, comme une forme de résignation, parfois, comme, surtout, un passage de témoin. La scène, anodine pourtant, de Gabin en train de se raser au rasoir électrique en est un symbole parfait. Au niveau des interprétation, on oscille entre seconds rôles habitués (Louis Seigner, Robert Dalban, Dominique Zardi) et d’autres moins connus, plus ou moins dans le ton. Dany Carrel (trop souvent cantonnée au rôle de prostituée honnête à l’instar de Mireille Darc dans d’autres films de Lautner/Audiard, en sex-symbol) et André Pousse (déstabilisant de froideur assassine) équilibrent parfaitement le casting.
Au final, on a un film où semblent s’opposer deux visions du même monde, une de l’avant (le scénario, les dialogues, Gabin), une de l’après (la réalisation, la musique, l’informatisation), où la moindre image est signifiante, le tout sorti au moment précis où, dans la société, le point de basculement est atteint avec les événements de mai. Ce moment, fugace, où Gabin croise Gainsbourg dans le studio d’enregistrement, est très révélateur et assez magique de l’avant et de l’après.
Cette œuvre est plus qu’un chef d’oeuvre, c’est un exemple d’objet cinématographique à montrer dans toutes les écoles d’art. Un joyau, une perfection.