Sorti en 2007, "My blueberry nights" est le premier film tourné en anglais par Wong Kar-Wai, réalisateur notamment des sublimes "In the mood for love" (2000) et "2046" (2004).
Une nuit, Elizabeth (Norah Jones) se rend dans un bar, elle cherche son petit ami. Le barman (Jude Law) la renseigne et lui apprend que le petit ami en question est venu hier soir en charmante compagnie. Se sentant trompée, la jeune femme se lie d'amitié avec le barman Jérémy. Les deux amis se retrouvent alors tous les soirs, autour d'une tarte aux myrtilles... jusqu'au jour ou Elizabeth s'en va pour un voyage... C'est le début du nouveau film de Wong Kar-Wai, film qui reçu d'ailleurs un avis (très) mitigé. Etrange car le film, tout en étant délicieux et original se révèle complètement en cohérence avec les oeuvres précédentes du Hongkongais.
Donc, on suit Elisabeth, qui, tout le long de son voyage se liera d'amitié avec des gens paumés. Dans "2046", un homme séduisait de nombreuses femmes pour oublier l'amour de sa vie, (maintenant disparue de son entourage) qui continuait de le hanter dans son esprit. Cet homme pourrait très bien croiser la route d'Elizabeth tant sa mélancolie et sa tristesse s'apparente aux protagonistes que l'héroïne rencontrera dans ces Blueberry Nights. Ces protagonistes, ils sont au nombre de trois. Le premier, Arnie (David Strathairn) flic de jour, ivrogne de nuit est alcoolique depuis le départ de sa femme. Solitaire et dépressif, il fête tous les soirs sa "dernière cuite". La deuxième, c'est Sue Lynne (Rachel Weisz), justement l'ex d'Arnie, qui continue à le rejeter. Femme méprisante, elle se rendra compte trop tard qu'elle éprouve toujours des sentiments pour son ancien mari. Enfin, Elisabeth se liera d'amitié avec Leslie (Nathalie Portman), une joueuse professionnelle à la jaguar, dont la situation est très tendu avec son père. Tous ces personnages sont parfaitement liés à l'univers de Wong Kar-Wai, fondé sur l'amour et le temps perdu. On pense souvent aux oeuvres précédentes de l'auteur, notamment son dernier film. Ainsi, le train de "My blueberry nights" ne serait-il pas le 2046, figure du voyage dans le temps et ou le voyageur n'a "qu'une idée en tête: retrouver ses souvenirs perdus" car "rien ne change jamais à 2046"? De même, Leslie est une joueuse professionnelle à l'instar de Su Li-zhen (Gong Li) dans le même "2046". De plus et ultime référence et/ ou hommage, le spectateur peut entendre par deux fois le "Yumeji's theme", la musique emblématique d' "In the mood for love". Sentiment de déjà vu et de répétition? Non, car Wong Kar-Wai crée un personnage différent de son monde: Elizabeth. Et là réside toute l'originalité du réalisateur: relayer au second plan des protagonistes de son univers pour donner le rôle principal à un autre type de personnage: une jeune femme qui fait au fond l'apprentissage de la vie en observant ces figures désabusées. Wong Kar-Wai se met donc dans l'oeil du témoin, à la différence de ses autres films, ou les héros connaissaient amours perdus et mélancolie. De ses relations et observations, Elizabeth ouvrira les yeux et découvrira de qui elle est vraiment amoureuse.
Selon moi, Wong Kar-Wai est un pessimiste : amour impossible dans ''In the mood for love'' et incapacité à oublier cet amour dans ''2046''. Ici, le metteur-en-scène, en peignant le portrait des protagonistes que rencontre l'héroïne est fidèle à son penchant sombre. Mais là encore, et peut-être parce qu'il tourne en Amérique (où le happy end est d'usage), Wong Kar-Wai surprend en étant un peu plus solaire.
Sa conclusion est heureuse: Elizabeth comprendra après avoir rencontrée tant de coeurs brisés que son bonheur se trouvait là, dès le début, en la personne de Jérémy, le barman, qui l'a tant réconforté.
Dans ce film, on retrouve l'autre grande qualité du Hongkongais: la force visuelle. Rarement, on est aller aussi loin dans le soin de la photo et de la lumière. Pour ce film, le réalisateur s'est entouré du chef opérateur Darius Khondji (directeur de la photographie du génial "Seven"), qui a quand même le devoir de remplacer Christopher Doyle ( chef op' de W K W depuis "Nos années sauvages" en 1991 et, entre autre, de "Hero" de Zhang Yimou en 2002). "La forme, c'est comme un coup de couteau" disait Dario Argento. Autant dire que "My blueberry nights" est une application parfaite et absolue de cette phrase. La couleur ultra-vive des néons, couplée aux (habituelles, il est vrai) trouvailles visuelles de W K W comme les ralentis stroboscopiques sont des composants essentiels de cette rêverie. Pour peu qu'on veuille s'abandonner à cette vision contemplative des nuits de New-York, de Californie, du Nevada et du Tenessee, l'hypnose sera totale, grâce à la gigantesque palette de couleurs proposée.
Voici donc un très beau film qui semble introduire dans le monde de Wong Kar-Wai une touche d'espoir en la personne d'Elizabeth. Certes, ce que le film gagne en optimisme, il le perd en émotion et en nostalgie, mais l'hypnose "wong kar-waienne" est toujours présente.