L'histoire d'un sentimental qui rencontre une sentimentale, ce sera long.
Bon, une fois n'est pas coutume, je vais faire à l'inverse de toute la critique française. Je vais dire que ce dernier film de Kar Wai est mon préféré. Loin des taudis étroits et de l'esthétique 50-60 de Hong-Kong, loin des turpitudes futuristes de « 2048 », on est enfin dans une esthétique contemporaine. Pour parler d'une histoire d'amour contemporaine, chaotique, étrange, pas très calculatrice. En fait on aura 4 histoires de rencontres foireuses pour le même prix. Très différentes.
Ce qui sauve ce film d'une lenteur et d'un propos navrant de simplicité ? Beaucoup de choses.
En premier lieu, une esthétique au dessus de tout soupçon, et dans notre époque de violences et d'horreurs morales et visuelles, c'est un hâvre de paix pour esthètes. Tous les plans sont créés de manière à montrer la beauté de la vie (et la beauté tout court dans le cas de Jude Law et Nathalie Portman). Et à excuser l'aspect un peu gauche sinon pas très glamour de Norah Jones. C'est sans doute le tour de force sinon l'intelligence du réalisateur de ne jamais utiliser de trop belles actrices pour rester vraisemblable. Ici, l'indienne est utilisée comme fil directeur pour relier toutes les histoires. Elle est gentille comme une fille simple tout en restant dans les limites de sa jeunesse et de ses erreurs d'appréciation.
Elle ne comprend pas pourquoi si elle est capable d'aimer, personne n'arrive à lui démontrer que ça peut être longtemps réciproque, et elle va rencontrer des personnages qui essayent de vivre avec cette lâcheté humaine, sans vouloir désespérer de leur choix. Ce pourrait être triste à mourir, mais le regard enfantin de Norah sur les histoires d'amour des grands est rafraîchissante et de toute façon, la photo est si lissée que tout se digère facilement.
Pour en finir avec la photo, elle est si maitrîsée que la lenteur des relations dans la première partie du restaurant est comme annihilée.
Ce moment de mise au point brouillée, puis tout de netteté avec un simple chiffon sur une vitrine.
On ne peut passer sous silence cet instant de grâce, de sensualité qui crève l'écran, ce qu'aucun home cinéma ne pourra rendre. Le plan presque fixe sur ce visage ordinaire, Norah Jones qui s'éveille à la confiance en l'être aimé, avec ce superbe et discret sourire, qui parle autant à la gourmandise qu'à la sensualité. L'art de redéfinir le star système pour donner à voir le message, peu importe le support, signe d'un grand réalisateur spécialiste du fétichisme.
L'autre force de Kar Wai, c'est de coller au pays, on voit des américains prêts à parcourir 3000 Kms pour prendre un peu de recul, là où un Français décrocherait son portable pendant 1 semaine et un Hong Kongais se réfugierait dans une lente nostalgie. Il sait filmer l'air chaud de Las Vegas, tout comme la pluie au néon de New York. Tout au plus peut-on lui reprocher d'avoir bâclé les scènes de road movie, mais ce n'est sans doute pas un homme de vitesse ni de voitures.
Les acteurs ? Norah exprime des choses simples et elle paraît simple, le rôle n'est donc pas difficile, mais on peut souligner qu'elle n'en fait pas trop, bien qu'elle ne semble pas toujours à l'aise. Bref, ce n'est pas une actrice, mais c'est le bon choix de la part d'un artiste manifestement très conscient du résultat qu'il voulait obtenir.
Nathalie Portman surjoue jusqu'à ressembler à Sharon Stone, mais ce n'est pas grave, elle est si belle en femme un peu moins jeune que la fascination fait tout oublier, cette photo sur fond de coucher de soleil devant des fanions, cette évocation de Jaguar, cette image de cabriolet avec une femme seule face à sa nouvelle vie, tout est une accumulation des plus beaux poncifs, mais tellement bien filmé que l'on atteint une sorte de plénitude visuelle.
Des regrets ? C'est peut-être trop court, une 5ème histoire aussi bien filmée n'aurait pas été de trop. Et surtout, même si je ne suis pas fan de musique d'ascenceur, une bande son avec plus de Norah Jones dedans n'aurait pas dépareillé dans une ambiance si cocoon.