La Nuit nous appartient est l'emblème de ce que doit être un polar lié à une fresque familiale. Il est à la fois un pur film de genre se gardant bien de donner une leçon de morale, ne prenant pas vraiment parti, et surtout un drame puissant qui se réapproprie des motifs classiques de tragédie antique appliqués à un neo-polar en tous points magistral. L’ombre de Scorsese, Coppola ou Friedkin plane toujours sur l’œuvre de James Gray qui s’en démarque à la moindre occasion tout en leur portant le plus grand des respects. A l’arrivée, cela donne un film au récit « classique » dans la mesure où il s’articule autour de motifs bien connus, mais un film qui explose les codes pour mieux les reconstruire, et le tout sans céder à une évidente démonstration de force, tout en subtilité. Construit autour des figures paternelles, James Gray reprend ce qu'il avait fait dans Little Odessa et The Yards : chaque personnage cherche soit à protéger et alimenter sa cellule familiale, soit à s’en extraire pour en bâtir une nouvelle. Il y a d’un côté le fils prodigue qui recherche la reconnaissance du père en suivant ses traces sans dériver d’un millimètre de la trajectoire, et de l’autre le fils rebelle dont le comportement extrême symbolise un autre besoin d’exister, à travers une forme de liberté, mais dont les provocations ne sont là que pour trouver l’attention du père. Plus explosif, plus fantasque et nécessairement plus torturé, c’est ce second fils qui se retrouve au centre du récit, incarné par un Joaquin Phoenix époustouflant dans la mise en place d’une dualité interne. Électron libre lié au bien par le sang et attiré par la lumière du mal, il est cet être fragile qui n’aura de cesse de chercher le père, à travers un père de substitution qui l’aveugle, et de chercher à bâtir les fondations de sa propre cellule familiale, tourné vers des personnages qui représentent l’antithèse de sa propre famille. James Gray parvient à traiter cela avec une subtilité et une crédibilité exemplaire. Malgré le coté rebelle de Bobby, il n'oublie jamais que rien n'est plus important que les liens du sang. Et pour raconter cette histoire, le réalisateur fait preuve d'une vraie modernité. Ayant parfaitement assimilé les figures centrales du thriller, du polar et du film noir, il en livre un condensé tout à fait cohérent. Ainsi, le scénario se suit comme un fil que l'on ne peut pas couper tant que le poids qui pèse sur la famille ne sera pas rétabli. Et s'il n'y avait que ça, la mise en scène de James Gray frappe encore très fort. Qu’il filme des funérailles militaires avec une sobriété exemplaire, une fusillade d’une violence extrême dans une obscurité quasi totale ou une course poursuite quasi subjective et sans musique qui s’impose comme la plus impressionnante depuis des décennies, le réalisateur n'use jamais d’esbroufe. Le réalisateur possède cette capacité à suspendre le temps pour ménager des zones de tension insoutenables, réinventant là encore des motifs finalement très classiques. La Nuit nous appartient où tout transpire la perfection? C'est bouleversant mais toujours dans la subtilité, jusqu'au dernier plan du film, déchirant, et pourtant si simple. Une véritable fresque familiale, une descente aux enfers réaliste où l'intrigue n'est jamais laissé de coté, qui a le mérite d'hériter de très grands acteurs jouant à la perfection chacun de leur personnage. Bref, une pépite du polar noir moderne.